Quand j’ai vu les chiffres, j’ai eu un gros doute. Quoi, nos immigrants économiques font-ils vraiment de meilleurs revenus que la population québécoise ? Et gagnent-ils vraiment plus que leurs semblables en Ontario ?

J’ai toujours été persuadé du contraire, d’où ma surprise. Au départ, je voulais vérifier où en étaient les écarts, dans le contexte du débat sur les seuils d’immigration de la campagne électorale.

Car entendons-nous : du point de vue strictement économique, les immigrants sont d’autant bienvenus qu’ils haussent notre niveau de vie collectif, en touchant notamment de meilleurs salaires que la moyenne, et donc en payant plus d’impôts pour financer nos services.

J’ai repassé au peigne fin les données de Statistique Canada pour être bien sûr, et les conclusions demeurent. Avec d’importantes nuances, toutefois.

Premier constat, donc : les immigrés dits économiques, que nous accueillons pour leurs compétences particulières, ont un meilleur revenu médian que la population en général, une fois l’adaptation passée. Les données sont pour l’année 2019 – la plus récente disponible – et elles sont tirées des déclarations de revenus fédérales, entre autres.

Ainsi, 10 ans après leur arrivée, les demandeurs principaux de l’immigration économique avaient un revenu médian de 51 400 $ au Québec en 2019, soit 38 % de plus que la population en général (37 130 $), composée essentiellement des natifs du Québec.

Non seulement gagnent-ils plus que les Québécois, mais ils font aussi davantage que les mêmes immigrés économiques de l’Ontario (49 800 $) et de la Colombie-Britannique (48 500 $), me révèlent les données de Statistique Canada1. Wow !

N’est-ce pas étonnant, sachant qu’on voit souvent l’immigrant type du Québec comme un bachelier en maths qui fait du taxi, comparativement à l’entrepreneur haute technologie en Ontario ?

Dans les faits, les immigrants choisis pour leurs compétences finissent par faire plus que la population du Québec, puisqu’ils ont davantage étudié (46 % ont un diplôme universitaire, le double des natifs d’ici).

Les plus futés me diront que la comparaison est biaisée, puisque les nouveaux arrivants sont plus jeunes que la population en général, qui comprend des retraités, souvent moins rémunérés. Fort bien.

Mais voilà, en ciblant seulement les 25-54 ans pour effacer cet effet de composition, l’avantage favorisant les demandeurs principaux de l’immigration économique demeure, quoique l’écart est réduit. Leur revenu médian dans cette tranche d’âge passe à 52 500 $, soit un écart de près 10 % avec la population québécoise de même âge.

Leurs semblables de la Colombie-Britannique font le même revenu médian (52 500 $) et ceux de l’Ontario, un peu plus (54 300 $), toujours 10 ans après leur arrivée au pays. L’Alberta est dans une classe à part (65 700 $).

Le Québec présente un désavantage : il faut plus de temps à nos immigrants économiques pour rejoindre et dépasser le revenu médian de la population qu’ailleurs au pays. Typiquement, le rattrapage se fait ici cinq ou six ans après leur arrivée, alors qu’ailleurs, les immigrants économiques gagnent pratiquement autant que les autres dès leur arrivée, selon les données.

Est-ce une question de langue ? De reconnaissance des diplômes ? De réceptivité de la société d’accueil ? Ou peut-être est-ce la vigueur économique moindre du Québec il y a 10 ans, à leur arrivée, un inconvénient qui s’est renversé ces dernières années ?

Cela dit, le portrait change quand on inclut les autres immigrés, notamment les conjoints ou conjointes et personnes à charge de l’immigration économique, ainsi que les immigrants parrainés par la famille et les réfugiés.

Tout compris, et toujours 10 ans après leur arrivée, le revenu médian de l’ensemble des immigrés de 25-54 ans était de 42 300 $ au Québec en 2019, contre 47 830 $ pour la population du même âge, soit un écart négatif de près de 12 %.

Consolation : l’écart défavorisant les immigrants est plus grand en Ontario et en Colombie-Britannique qu’au Québec.

La différence favorisant le Québec vient de notre politique d’immigration. Ici, les deux tiers des immigrants admis sont des immigrants économiques, selon la base de données de Statistique Canada, contre environ 50 % en Ontario, qui accepte davantage de réunification familiale.

En somme, nos immigrés économiques dits principaux gagnent davantage que la population du même âge, mais les autres types d’immigrants occupent encore des emplois moins bien payés.

À cela s’ajoute que le taux de chômage des immigrés demeure un peu plus élevé que celui des natifs, comme leur taux de surqualification pour les postes occupés (39 % contre 26 % chez les natifs), même 10 ans après avoir été admis. Comment est-ce possible avec une telle pénurie de main-d’œuvre ?

Un autre élément doit être pris en compte dans notre appréciation de l’apport des immigrés : l’avenir de leurs enfants. Souvent arrivés ici en bas âge, ces enfants étudient dans le système d’éducation local et leurs perspectives de carrière s’améliorent grandement.

Plus encore : selon des données de Statistique Canada, les enfants immigrés, rendus à l’âge de 30 ans, gagnent bien davantage que les Canadiens au même âge. L’écart les favorisant atteint 13 % en Ontario et 17 % en Colombie-Britannique. La raison ? Encore une fois, leur propension plus grande aux études que les Canadiens nés ici.

Dit autrement, les économistes se leurrent lorsqu’ils analysent seulement l’apport immédiat des nouveaux arrivants sans tenir compte de l’avenir de leurs enfants, 15 à 30 ans plus tard.

Malheureusement, le Québec se distingue défavorablement du reste du Canada à ce chapitre. Ici, les immigrés arrivés dans l’enfance font près de 6 % moins de revenus, à l’âge de 30 ans, que l’ensemble des Québécois du même âge, même s’ils ont étudié davantage…

Difficile de comprendre pourquoi. Dans une précédente analyse, j’arrivais à deux conclusions, essentiellement, pour expliquer la différence avec les autres provinces. Un : il y a un écart manifeste entre les souches d’immigration dans la propension aux études.

Deux : le Québec offre une rémunération nettement moindre qu’ailleurs au Canada aux immigrés qui ont étudié ici. Par exemple, un Haïtien d’origine a un salaire nettement moindre au Québec qu’en Ontario, même s’il a une propension semblable aux études2. Il y aurait davantage de discrimination ici, bref, bien qu’il faudrait pousser plus loin l’analyse, en tenant compte, notamment, du domaine d’études.

On a beaucoup entendu parler, dans cette campagne, du nombre d’immigrants à accueillir annuellement et de leur contribution à la réduction ou non de la pénurie de main-d’œuvre. Les immigrants comblent des emplois, mais requièrent aussi des services de santé et d’éducation, de même que des logements. Pas simple de trancher ce débat.

L’angle d’analyse que je propose, avec les revenus, diffère de celle de l’apport des immigrants à la pénurie. Il reste qu’il permet d’en saisir les contours, puisque les postes vacants plus nombreux font généralement grimper les salaires, notamment ceux des immigrants, surtout dans certains postes en forte pénurie.

Certes, une meilleure sélection des immigrants aiderait, comme une meilleure francisation et intégration, mais il faut aussi, selon mon analyse, une plus grande ouverture du milieu du travail et une vision à plus long terme de l’immigration.

1- Les revenus englobent tout, salaires, traitements, revenus autonomes, revenus de placements et transferts gouvernementaux. Seuls les immigrants admis sont comptés, pas les immigrants temporaires. Les données sont tirées de la base de données sur le revenu des immigrants déclarants (43-10-0027-01), mise à jour en décembre 2021. Les données qui concernent la population en général ont été produites par Statistique Canada à la demande de La Presse. Par souci de concision, le terme « immigrant économique » en début de texte vise les demandeurs principaux et non leurs personnes à charge.

2- Les données sont pour l’année 2017 et non 2019 (comme celles de cette chronique).

Lisez la chronique « Études supérieures et salaires au Canada : le Québec discrimine davantage ses immigrés »