J’ai une bonne nouvelle pour les environnementalistes qui ont envahi les rues à Montréal vendredi. Une nouvelle qui devrait faire réfléchir nos politiciens, au risque de déplaire aux automobilistes.

L’explosion des prix de l’essence à la pompe depuis deux ans a fait reculer la consommation estivale de carburant aux États-Unis à un creux des 22 dernières années, si l’on exclut l’exceptionnel été 2020 du début de la pandémie. Et cette baisse a des effets très concrets sur le réchauffement climatique, ai-je pu constater.

Grosso modo, le volume moindre consommé cet été aux États-Unis se traduit par une économie de 32 millions de tonnes de GES par rapport au sommet de 2016. C’est l’équivalent de 40 % de toutes les émissions de GES produites au Québec annuellement.

Comment arrive-t-on à un tel chiffre ? En comparant les 8,8 millions de barils quotidiens d’essence consommés par les Américains cet été aux 9,7 millions de l’été 2016, selon les données de l’Energy Information Administration américaine.

Pour les 12 semaines de l’été, la différence quotidienne représente 77 millions de barils économisés. C’est énorme.

Sachant que chaque baril d’essence émet 0,41 tonne de GES quand il est consommé par les automobilistes, on peut estimer que l’atmosphère a été graciée de 32 millions de tonnes de GES grâce à la hausse des prix à la pompe, essentiellement1.

« Cet effet des prix sur la consommation d’essence et les GES est une excellente nouvelle. Ça montre que des solutions sont possibles », se réjouit Pierre-Olivier Pineau, professeur de HEC Montréal spécialisé en énergie.

Visiblement, le boom des prix à la pompe a forcé les consommateurs à réduire leurs déplacements pendant les vacances, ou encore à trouver des solutions de rechange de transport (covoiturage, transports en commun, utilisation de plus petits véhicules, etc.).

L’effet des prix sur la consommation est plus clair depuis 2005, selon mes observations (voir le graphique). Paradoxalement, de telles données fines, pourtant cruciales, n’existent pas au Québec et au Canada, ce qui est déplorable.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Les hausses majeures de prix à la pompe ont fait rager les automobilistes, incitant des politiciens, dont Éric Duhaime, à proposer une réduction de la taxe sur l’essence, comme en Ontario.

Mais selon la majorité des économistes, les taxes et autres redevances sur le carbone, qui se répercutent sur le prix de l’essence, sont justement l’une des solutions les plus efficaces pour diminuer les GES.

Le gouvernement Trudeau projette de hausser progressivement sa « taxe » carbone jusqu’à 170 $ en 2030, soit 120 $ de plus que le niveau actuel. En 2030, la taxe aurait un impact de 40 cents le litre d’essence.

La montée récente du prix à la pompe, passé de 1,07 $ le litre en septembre 2020 à Montréal à plus de 2 $ au cours de l’été, est une occasion unique de voir si les taxes et autres formes d’imposition sur le carbone sont une solution efficace pour réduire les GES.

Selon mes observations, aux États-Unis, l’effet est significatif, mais il faut visiblement une très forte hausse de prix pour avoir des résultats tangibles.

Pourquoi est-ce ainsi ? Parce que l’essence est un produit plutôt inélastique aux prix, contrairement aux aliments des supermarchés, par exemple. Il faut une hausse importante et prolongée du prix à la pompe pour que les consommateurs modifient significativement leurs comportements.

Le télétravail, un facteur

Les automobilistes, faut-il le dire, n’ont pas beaucoup d’options. Ils ne s’achètent pas un nouveau véhicule après quelques semaines de prix plus élevés de l’essence. Et les transports en commun ne deviennent pas soudainement plus accessibles.

C’est tout le contraire des fruits et légumes dans un supermarché : quand le prix du brocoli monte trop, les consommateurs se tournent vers les carottes ou autres légumes pour compenser.

« En Europe, le parc automobile est 20 % plus efficace (en litres par 100 km) parce que les taxes à l’achat de véhicules et sur les carburants sont plus élevées [depuis longtemps] », fait valoir Pierre-Olivier Pineau.

Le télétravail est un autre facteur qui joue en faveur d’une baisse de la consommation. Lors de l’annonce de ses récents résultats, Alimentation Couche-Tard, l’un des principaux détaillants d’essence, a d’ailleurs mentionné le travail à domicile et la hausse du prix du carburant pour expliquer la baisse de ses volumes d’essence vendus par rapport à l’an dernier.

La baisse pour les mêmes magasins est de 4 % aux États-Unis et de 3,7 % en Europe, comparativement à une hausse de 0,4 % au Canada2.

Oui au bonus-malus

Cela dit, la fête pourrait être de courte durée pour les environnementalistes. La hausse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine a notamment eu pour effet de faire plonger le prix du baril de pétrole sous les 79 $ US le baril vendredi. Ce même baril se négociait 120 $ US au début juin.

Le prix à la pompe risque de continuer de descendre, comme il le fait depuis quelques semaines. Il soulagera les consommateurs, qui font face à une inflation historique, mais l’environnement en pâtira, encore une fois.

Dans ce contexte, les propositions de Québec solidaire ou du Parti québécois visant à améliorer l’offre de transports en commun et à en faire baisser les tarifs sont les bienvenues, bien que plusieurs aspects pourraient être repensés.

De même, la taxe plus élevée sur les véhicules énergivores, mais plus basse sur les plus verts (bonus-malus), comme le suggère Québec solidaire, est une bonne idée. Veut-on les réduire les GES ou pas ?

1. Les données estivales que j’ai utilisées vont de la fin juin à la mi-septembre pour chaque année. Cet été, la consommation a reculé de 7 % par rapport à la période correspondante de 2021 (et de près de 10 % par rapport au sommet de 2016). Le prix à la pompe a grimpé de 33 % entre les étés de 2021 et de 2022, atteignant 4,31 $ US le gallon cet été, en moyenne.

2. Ce recul n’a toutefois pas eu d’impact sur les profits, vu la hausse importante des marges de profits sur l’essence, entre autres. Le bénéfice par action de Couche-Tard a été en hausse de près de 20 % durant le trimestre terminé le 17 juillet.