Quelle est la valeur patrimoniale de la forêt québécoise ? Malgré son inestimable richesse écologique et son immense valeur à titre d’héritage le plus précieux que l’on doit impérativement léguer au plus grand nombre de générations futures, la forêt québécoise ne semble pas mobiliser la même attention ni la même fibre que certains autres de nos fleurons identitaires.

Il y a trois mois, l’entreprise Papier Excellence, propriété d’une riche famille indonésienne, a fait l’acquisition de Résolu, le principal producteur forestier québécois, dans une transaction de 2,7 milliards US.

Cette offre publique d’achat du groupe indonésien, déjà actif dans l’industrie des pâtes et papiers au Canada, en France et en Amérique du Sud, survenait tout juste un an après que Papier Excellence avait fait l’acquisition de la société Domtar, dans une transaction de 3 milliards US, en mai 2021.

Même si Domtar a été acquise en 2007 par la société américaine Weyerhaeuser, elle avait – et a toujours – un ancrage québécois important avec son centre administratif montréalais où travaillent 425 personnes et son usine de pâtes et papiers à Windsor, dans les Cantons-de-l’Est, ainsi que ses 160 000 hectares de forêt privée.

Avec l’acquisition de Résolu et ses 25 usines de sciage et de transformation sur le territoire québécois, Papier Excellence deviendra, et de loin, l’acteur le plus important de l’industrie forestière au Québec et, surtout, le plus gros exploitant de la ressource forestière québécoise.

Ce qui n’est pas rien. Papier Excellence disposera des plus grandes capacités de récolte forestière au Québec, avec une garantie d’approvisionnement de 4,5 millions de mètres cubes par année d’arbres récoltés sur les terres publiques québécoises, ce qui représente près de 30 % des garanties totales de l’industrie forestière au Québec.

À ces centaines de milliers d’hectares de forêt publique auxquels Papier Excellence aura accès, il faut ajouter les 160 000 hectares de forêt privée qui lui appartiennent depuis l’acquisition de Domtar l’an dernier.

Ce qui fait beaucoup de volume de forêt québécoise pour une entreprise étrangère, et cette générosité du régime québécois ne semble émouvoir personne, mais hérisse certains producteurs québécois qui estiment que l’on dispose trop librement d’une ressource importante et patrimoniale.

Papier Excellence prévoit alimenter le marché asiatique avec la pâte kraft produite par Résolu à Saint-Félicien, cette pâte qui sert à la fabrication de papier tissus, parce qu’elle est conçue à partir de fibres de résineux nordiques et qu’elle est de qualité supérieure.

Des producteurs locaux s’étonnent donc que l’opinion publique québécoise ne se soit pas mobilisée comme elle l’a fait lorsque des producteurs chinois ont voulu exploiter des gisements de terres rares dans le Nord québécois.

Ou lorsqu’il y a une douzaine d’années, des rumeurs voulant que des investisseurs chinois profitent du manque de relève dans les fermes québécoises pour acheter massivement des terres agricoles. La réaction avait été aussi prompte que bruyante avant que cette rumeur ne s’éteigne d’elle-même.

Une activité maintenue

Ce qui n’est pas le cas avec l’acquisition de Résolu par Papier Excellence. Le fait qu’une entreprise asiatique soit sur le point d’être le principal bénéficiaire de la ressource forestière au Québec ne changera pas la réalité des régions productrices.

Parce que, bien sûr, Papier Excellence transformera sur place toute la récolte forestière à laquelle elle s’adonnera et que les retombées économiques vont rester les mêmes que celles qui profitent déjà aux régions où l’activité forestière reste la principale source de revenus.

Aucune entreprise forestière ne s’adonnerait à l’exportation d’arbres fraîchement abattus, sans transformation aucune, cela n’aurait aucun sens, ce n’est pas le modèle de l’industrie, qui repose sur la transformation.

Mais il n’en demeure pas moins que la vente de Résolu à une entreprise étrangère nous rappelle que la forêt est un bien public et qu’elle doit être aussi exploitée pour le bien public.

Lorsque la transaction entre Papier Excellence et Résolu a été rendue publique, le 6 juillet dernier, j’avais déploré le fait que Résolu, une entreprise québécoise enracinée dans le territoire québécois, avec son siège social bien implanté à Montréal, fasse l’objet de la consolidation.

Résolu avait été jusque-là le consolidateur de l’industrie, dans un parcours qui s’est échelonné sur plus de 200 ans.

Le fait que Papier Excellence dispose déjà d’un siège social canadien, à Richmond en Colombie-Britannique, m’a aussi amené à m’interroger sur le poids relatif que les deux sièges sociaux québécois de Résolu et de Domtar à Montréal pourront occuper à l’avenir.

Tant Résolu que Domtar se sont voulues rassurantes en affirmant que les activités de leurs sièges respectifs allaient être maintenues puisque les deux entreprises sont actives dans des secteurs différents, le bois de sciage, le papier journal et les papiers tissus pour Résolu, le papier fin et le papier d’emballage pour Domtar.

Il faudra voir maintenant avec quelle diligence les nouveaux propriétaires de Résolu vont gérer la très grosse capacité forestière dont ils vont hériter et qui constitue aussi l’héritage de toute la collectivité québécoise.