Pour trois générations, les X, les Y et les Z, l’inflation s’est résumée toute leur vie à un concept théorique vaguement évoqué à l’école secondaire. C’était un mot parmi d’autres dans les histoires de la parenté encore traumatisée d’avoir acheté une maison à 22 % d’intérêt au début des années 1980. Un phénomène de lointains pays pauvres.

Tout ce beau monde a finalement eu droit à un cours pratique sur l’inflation.

On ne peut y échapper. Les hausses de prix font désormais partie de notre quotidien. Elles sont bien visibles, irritantes, inquiétantes aussi.

De fait, début septembre, Léger nous apprenait que les deux plus grandes sources de stress des Canadiens sont actuellement leurs finances personnelles et l’inflation. Quelques jours plus tôt, le cabinet EY diffusait un communiqué intitulé « 80 % des Canadiens s’inquiètent de leurs finances face à la hausse du coût de la vie ».

Ce ne sont pas les données dévoilées mardi par Statistique Canada qui vont apaiser l’angoisse dans les chaumières.

Au Québec, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 7,1 % (7 % au Canada), en août, par rapport à la même période l’an dernier. Pendant ce temps, les salaires ont crû de 5,4 %.

Pas besoin d’avoir un bac en mathématiques pour comprendre que cet écart équivaut à une (désagréable) baisse du pouvoir d’achat.

Si vous multipliez les stratégies pour étirer chaque dollar, vous n’êtes pas seul.

C’est particulièrement vrai dans les supermarchés, où les prix ont bondi d’un effroyable 10,8 %, ce qui ne s’était pas vu depuis 1981.

Plus concrètement, un panier de denrées de 200 $ en août 2021 coûte maintenant 221,60 $. À la longue, ça fait une bonne différence dans le budget.

Ce qui est inquiétant, c’est que la tendance haussière des prix d’épicerie ne s’essouffle pas. Au contraire, elle s’amplifie constamment depuis un an. Comme on ne peut pas cesser de manger, c’est une mauvaise nouvelle pour les ménages à faibles revenus.

Mais tout le monde ou presque (75 %) a modifié ses comportements en réaction aux hausses de prix dans les supermarchés, selon une étude du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie et de Caddle, dévoilée mardi. Tandis que certains Canadiens (11,5 %) ont visité plus souvent des magasins à un dollar pour acheter de la nourriture, d’autres (41 %) essaient de gaspiller moins de nourriture ou sautent carrément des repas (7 %). La popularité des potagers s’est accrue, tout comme celle des programmes de récompenses, des supermarchés à bas prix, des circulaires et des coupons.

Parmi les 5000 Canadiens consultés au début du mois de septembre, pas moins de 24 % réduisent la quantité d’aliments qu’ils achètent. C’est énorme ! « On se paye moins la traite ! On coupe dans ce qui n’est pas essentiel, comme le chocolat », relate Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire et expert en distribution alimentaire.

Le site reebee. com, qui regroupe les circulaires des détaillants et permet de trouver le meilleur prix pour un article précis, constate aussi une série de phénomènes. À commencer par une hausse marquée de la popularité des produits de marques maison dans les listes d’épicerie que les internautes créent au moyen de sa plateforme.

Reebee rapporte aussi que les internautes sont moins fidèles à leur supermarché préféré et recherchent plus souvent des rabais pour des aliments de base comme le lait et les œufs.

L’impact de l’inflation dans nos vies ne s’arrête pas là.

On privilégie davantage la réparation de ce qui brise, on achète plus d’occasion, on suit moins les tendances mode, révèle le plus récent indice EY de l’évolution des habitudes des consommateurs. Des choix qui ont le mérite d’être bons pour la planète.

D’autres décisions font plus mal. Une personne sur trois a retiré de l’argent de son épargne pour payer des dépenses courantes. Et le quart de la population affirme que le solde de sa carte de crédit a bondi, selon le sondage Léger cité plus haut. Une tendance également observée par Equifax.

Chez BMO, on constate que 36 % des adultes canadiens ont réduit leurs cotisations d’épargne en raison de la hausse du coût de la vie, alors que 22 % ont réduit leur épargne de retraite. Autrement dit, l’inflation d’aujourd’hui risque de faire mal dans quelques décennies.

Ce qui est curieux, dans tout ça, c’est que la demande pour les véhicules demeure forte. Le directeur de l’Association pour la protection des automobilistes me faisait remarquer il y a quelques jours que la demande pour de grosses voitures luxueuses n’avait jamais été aussi forte au Québec, malgré l’inflation et le réchauffement climatique. La demande est assez importante pour alimenter les pénuries qui font les manchettes. À quand une épidémie de bazous rouillés sur nos routes ?

L’humain est rempli de contradictions, avec ou sans l’inflation.