Il y aura toujours de bonnes raisons de ne pas baisser les impôts au Québec. Aujourd’hui comme il y a 10 ans, 25 ans ou 40 ans.

Ce réflexe vient probablement de notre cœur social-démocrate, cher à René Lévesque, qui a fait du Québec une terre moins violente — quoi qu’on en dise récemment — et moins inégalitaire que partout ailleurs en Amérique.

Il y aura toujours de bonnes raisons pour mettre plus d’argent dans la santé, plus d’argent dans l’éducation, plus d’argent pour les moins nantis parce que peu importe les époques, il y aura toujours des problèmes criants à régler.

Mais mettre plus d’argent, est-ce vraiment la solution, sachant que le Québec est neuvième parmi les États les plus dépensiers au monde, ce qui lui donne aussi le neuvième taux de pression fiscale, essentiellement1.

Certains évoquent la fragilité de nos finances publiques et l’avarice du gouvernement face aux services collectifs, mais ces prétentions ne résistent pas à l’analyse du rapport préélectoral (qui a été avalisé par le Vérificateur général du Québec, dois-je le rappeler).

Nos surplus

Le Québec a terminé l’année 2022 (le 31 mars) avec un surplus de 3,3 milliards, et le rapport prévoit des surplus pour chacune des cinq prochaines années variant entre 1,8 et 3,3 milliards.

Oh, et attention, ces surplus attendus ont été soustraits d’une provision pour risques économiques de 2 milliards pour chacune de ces années, qui sera disponible si ces risques sont moins grands que prévu. Bref, des surplus importants sont attendus2.

Nos services publics ? En lisant le rapport, on constate qu’ils bénéficient d’une réinjection de fonds importante et récurrente.

D’ici trois ans, le gouvernement aura ajouté 20 milliards dans les missions de l’État, soit un bond de 17 % (ou 5,4 % par année, en moyenne), selon les données du rapport. La hausse est bien supérieure à l’inflation prévue sur cette période (3,8 % par année).

La santé bouffe tout ? Eh bien, non. Le bond est de 22 % sur trois ans en santé, mais de 30 % en enseignement supérieur, de 23 % pour les affaires municipales et l’habitation et de 19 % en éducation, soit bien au-delà de l’inflation prévue.

Les réparations des écoles, des routes et des autres infrastructures sont boudées ? Attendez de voir. Pendant plusieurs années, le gouvernement avait comme plan d’investir environ 90 milliards sur 10 ans, selon ce qu’on appelle le Plan québécois des infrastructures, ou PQI. Or, cette somme est graduellement passée de 91 milliards en 2017 à 142 milliards en 2022.

Certes, il faudrait encore plus d’argent pour remettre notre réseau en bon état, et restaurer les vieux actifs avant de trop en ajouter de nouveaux, mais qui peut prétendre que le Québec reste les bras croisés ?

Bref, au regard de nos finances publiques, les baisses d’impôt, proposées par trois des cinq partis, sont loin d’être irresponsables et ne seront pas financées par une forme d’austérité… pourvu qu’elles soient raisonnables, bien entendu.

L’argument de l’inflation

Le dernier argument anti-baisses d’impôt est l’impact qu’elles causeraient sur l’inflation. La logique est la suivante : donner de l’argent aux contribuables est de nature à stimuler la demande de biens et services et de hausser encore davantage les prix. Cela nuirait donc aux efforts de la Banque du Canada et il serait préférable de s’en priver.

Mais un allégement fiscal de 2 à 3 milliards est-il de nature à influencer significativement l’inflation, sachant que la baisse d’impôt représenterait seulement 1 % des 250 milliards de dollars de dépenses par les ménages québécois cette année3 ?

Surtout, la solution de rechange évoquée à la baisse d’impôt est de laisser l’argent dans les mains du gouvernement, qui pourrait s’en servir pour bonifier nos services.

Or voilà, les dépenses du gouvernement avec nos impôts sont autant inflationnistes que celles des contribuables.

Elles pourraient même l’être plus, puisque le gouvernement dépense ses fonds localement, essentiellement, alors que les baisses d’impôt provoquent des fuites, c’est-à-dire que les contribuables dépensent en partie l’argent ailleurs (dans les voyages, par exemple) ou l’épargnent, portion qui ne stimule guère notre inflation.

En fait, la seule façon de ne pas créer de l’inflation, dans ce contexte, serait que ni les contribuables ni le gouvernement ne dépensent cet argent, et donc qu’il serve à réduire la dette, par exemple. Ai-je besoin de réécrire que notre dette publique a fondu sous la barre qu’on s’était collectivement fixée, il y a 15 ans ?

Lisez « Faut-il démanteler le Fonds ? »

« Je doute que les baisses d’impôt soient inflationnistes, car elles arriveront dans une période de ralentissement économique. Elles arrivent à un bon moment dans le cycle économique. Elles auront un effet compensatoire, en permettant aux ménages de freiner la croissance de leur service de la dette [paiements mensuels de dette] », fait valoir Stéfane Marion, économiste en chef de la Banque Nationale.

Bref, les baisses d’impôt ne sont pas déconnectées, dans le contexte actuel.

D’autant que des impôts moindres sur le revenu sont généralement de nature à inciter au travail, un élément à prendre en compte en cette ère de pénurie de main-d’œuvre 4.

Pour une fois que le Québec en a les moyens, pourrait-on empocher les 300 $ à 1200 $ proposés, selon notre profil, sans se sentir coupable, sans imaginer la catastrophe que ces baisses d’impôt provoqueraient ? Et être heureux du soulagement qu’elles permettent à nos finances personnelles, durement malmenées par la spirale inflationniste et la hausse des taux d’intérêt ?

Précision sur la marge de manœuvre

Il me faut apporter une précision sur un élément contenu dans la chronique sur le Fonds des générations. J’y indiquais qu’en maintenant la dette constante à 35 % du PIB — plutôt qu’en la laissant continuer à baisser —, une marge de manœuvre se dégagerait après cinq ans, même après avoir baissé les impôts et augmenté les dépenses d’infrastructures. Or, une marge de l’ordre de 9 milliards, non récurrente, exclut toute nouvelle hausse annuelle des dépenses d’infrastructures. Mea culpa.

1. Pour des détails, il faut consulter les deux documents suivants de la CFFP de l’Université de Sherbrooke :

Consultez Bilan de la fiscalité au Québec Consultez Panorama des finances publiques du Québec

2. Ces surplus sont avant les versements au Fonds des générations, et donc comparables à ceux mesurés ailleurs dans les autres provinces. Les budgets seront déficitaires de 1,3 milliard à 1,9 milliard après les versements au Fonds des générations, selon le rapport, mais les versements au Fonds grimpent de 50 % sur la période (5,2 milliards en 2026-2027).

3. De cette somme, environ 11 % vont à l’alimentation, 15 % au transport et 22 % au logement, notamment.

Consultez les données de Statistique Canada en détail

4. Cet argument est valable, mais il est vrai que cette incitation au travail est généralement plus forte lorsque c’est le taux marginal maximum qui est réduit, et non les taux des deux premiers paliers, comme le proposent les trois partis politiques.