Perdre 1000 $ n’est agréable pour personne, vous en conviendrez, alors imaginez si la perte est de 33,6 milliards, comme celle de la Caisse de dépôt et placement du Québec !

Malgré l’énormité de la somme, le PDG de la Caisse de dépôt et placement, Charles Emond, vit très bien avec cette réalité. Et vous savez quoi ? Il a parfaitement raison.

Pardon ? Eh bien oui, car la perte du premier semestre de 2022 de la Caisse doit être évaluée dans son contexte. Et quiconque a des fonds communs a pu constater le désastre entre janvier et juin, l’un des pires semestres depuis 50 ans.

Qu’a obtenu la Caisse pendant ce temps ? Elle a eu un rendement négatif de 7,9 %, soit l’équivalent d’une perte sur papier de 33,6 milliards. Or, ce rendement est nettement meilleur que les indices de référence auxquels elle se compare (- 10,5 %).

Dit autrement, si l’argent des déposants avait été placé dans l’équivalent d’un portefeuille type du marché avec le même niveau de risque que celui de la Caisse, la perte n’aurait pas été de 33,6 milliards, mais de 44,6 milliards, soit 11 milliards de plus.

Le rendement de la Caisse du premier semestre doit donc être vu comme une bonne nouvelle, ironiquement. Il est signe que les gestionnaires de l’institution, à niveau de risque égal, ont trouvé des façons de faire mieux que leurs pairs dans ce contexte difficile.

Mieux encore : la Caisse a battu les indices de référence pour quatre de ses cinq grands portefeuilles que sont les marchés boursiers, les revenus fixes (obligations, crédit, etc.), les placements privés, les infrastructures et l’immobilier. Seul le secteur immobilier traîne la patte, avec un rendement positif de 10,2 %, soit 1,2 point sous son indice de comparaison, et encore, cet indice couvre seulement le premier trimestre, qui fut meilleur que le second.

Oui, mais est-ce que ce ne sont pas les indices qui sont bancals, conçus pour avantager la Caisse ? Ou même l’évaluation des actifs de la Caisse ?

La question est pertinente, mais sachez que ces évaluations et ces indices sont vérifiés par des firmes externes. Surtout, la Caisse a battu les deux indices de placements liquides ultra-surveillés par les marchés financiers – et donc extrêmement fiables –, soit ceux des marchés boursiers et des revenus fixes (voir le tableau).

Bref, quand un gestionnaire parvient ainsi à mieux limiter les dégâts que les autres dans un contexte historiquement difficile, il faut lui lever notre chapeau. D’autant que le marché peut rapidement changer de cap, comme on l’a vu depuis le début de juillet, ce qui a permis à la Caisse de combler presque la moitié de ses pertes des six premiers mois.

En comparaison, durant la tempête financière de 2008, la Caisse avait perdu 40 milliards avec son rendement de - 25 %, alors que son indice de référence avait reculé de seulement 18,5 %, d’où la mégacrise au sein de l’institution à l’époque.

Dans les bureaux de la Caisse, le contraste entre 2008 et 2022 est frappant, ai-je pu constater. À l’époque, l’ex-PDG par intérim, Fernand Perreault, peinait à répondre aux questions des journalistes, tendu et embourbé dans ses explications, alors que mercredi, Charles Emond était d’un calme olympien.

Il y a une autre raison de ne pas s’en faire avec la situation pour les cotisants et retraités qui ont leurs fonds de retraite à la Caisse – enseignants, infirmières, fonctionnaires, employés de la construction, etc.

La Caisse de dépôt gère l’actif des déposants, mais en parallèle, leur passif a largement bénéficié des bouleversements dans le marché. Ce passif est l’ensemble des versements à la retraite qui seront dus aux travailleurs et retraités au cours des prochaines années.

« Malgré les très mauvais rendements, la situation des régimes de retraite dans le marché s’est améliorée de façon notable, car le passif a diminué davantage que l’actif », me dit Claude Lockhead, associé principal du bureau de Montréal de la firme d’actuaires Aon.

Comment donc ? C’est que les sommes qui sont dues dans le futur aux retraités et employés actifs (le passif) sont estimées selon leur valeur actuelle. Or, cette valeur actualisée par les actuaires diminue quand les taux d’intérêt augmentent, ce qui fut le cas ces derniers mois.

Ainsi, entre le 1er janvier et le 30 juin 2022, le taux de capitalisation des régimes de retraite des grandes entreprises inscrites à la Bourse de Toronto est passé de 97 % à 100,5 %, selon l’indice Aon. Autrement dit, ces entreprises sont maintenant en mesure d’assumer l’entièreté des paiements de leurs cotisants et retraités à long terme, contre 97 % en début d’année.

Avec la remontée boursière des 45 derniers jours, ce taux de capitalisation atteint même 103,1 % aujourd’hui, un niveau inégalé dans l’horizon d’Aon, soit 10 ans.

Oui, mais que dire de l’inflation, qui peut surpasser l’indexation des rentes des retraités ? Elle fait mal à court terme, certes, mais dans la perspective de placements de la Caisse et de ses déposants, soit le très long terme, l’inflation redescendra dans la fourchette souhaitée par la Banque du Canada (de 1 % à 3 %), jugent la plupart des économistes.

Bref, à la lumière des résultats semestriels de la Caisse, les déposants peuvent dormir sur leurs deux oreilles.