Tous ceux qui ont eu besoin de renouveler un passeport ces derniers mois peuvent témoigner du stress et des inconvénients provoqués par l’inefficacité de la bureaucratie. S’il est contrariant d’annuler un voyage, imaginez l’épreuve lorsque la survie de son commerce est en jeu parce que des délais de traitement sont interminables.

Marilyne Baril est une designer de mode qui a raflé un paquet de prix et de bourses depuis le début de sa carrière. Or, même si la marque de vêtements éthiques pour femmes Marigold est reconnue, l’avenir de son atelier-boutique est en péril à cause d’une demande de permis de travail qui n’aboutit pas.

Je me demande si je dois renouveler mon bail. J’en suis à me demander si je devrais fermer mes portes. J’ai le vent dans les voiles et je suis bloquée par des vagues ridicules.

Marilyne Baril

En manque de personnel, elle doit travailler beaucoup trop d’heures et faire des tâches qui l’empêchent de se consacrer au développement de sa PME.

Ce n’est pas faute d’avoir cherché quelqu’un pour prendre en main sa boutique, son marketing et ses réseaux sociaux. Mais ses offres d’emploi en ligne n’ont rien donné. « Je n’ai reçu aucun CV pertinent. » La perle qu’elle cherche doit avoir de l’expérience en vente au détail et s’y connaître en mode locale et éthique. Ses pairs lui ont recommandé une diplômée française qui a fait un stage au Québec.

Après l’avoir rencontrée par vidéoconférence, Marilyne Baril a déposé une demande le 1er décembre 2021 pour l’embaucher en vertu du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET).

Si le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale du Québec juge qu’un type d’emploi est en pénurie, les entreprises ont droit au « processus simplifié », ce qui accélère le processus. Coup de chance pour Marilyne Baril, le poste de « superviseur des ventes – commerce de détail », qui porte le numéro 6211, faisait justement partie de la liste au moment du dépôt de la demande, l’an dernier.

Le délai moyen pour le volet des postes à bas salaires (processus régulier et simplifié confondus) est alors d’une cinquantaine de jours ouvrables, selon Emploi et Développement social Canada.

Un délai largement dépassé. Nous en sommes à 166 jours.

Pendant l’hiver, Québec lui a renvoyé deux fois ses documents par courrier recommandé pour une histoire de paiement par carte de crédit qui aurait pu se régler en quatre minutes au téléphone. « Ça m’a fait perdre trois mois », s’indigne Marilyne Baril. Ce n’est qu’en mai que la somme due a été prélevée dans son compte.

« Ça s’en vient dangereux pour ma santé mentale, car je travaille tous les dimanches, donc six jours par semaine, et tous les soirs, raconte la mère d’un enfant de 2 ans. En plus, mon chiffre d’affaires en souffre. »

Après deux mois, un courriel arrive, le 19 juillet.

Québec lui annonce que le poste numéro 6211 a été retiré de « la liste du traitement simplifié ». Son dossier a ainsi été transféré dans la pile ayant droit au « service régulier », dont le délai est plus long. La liste avait été revue… le 24 février.

EXTRAIT D’UN COURRIEL DU MINISTÈRE DE L’IMMIGRATION, DE LA FRANCISATION ET DE L’INTÉGRATION

Ce courriel a été transmis à Marigold le 19 juillet. La décision a été changée le 22 juillet sans explications.

Les règles du jeu ont changé presque trois mois après le dépôt de la demande. Mais qu’à cela ne tienne, l’entrepreneure doit en subir les conséquences. Et elle l’apprend au bout de cinq mois. En plus, dans une autre lettre, on lui demande des clarifications au sujet de la rémunération qui sera versée à l’employée lors de ses 10 heures hebdomadaires supplémentaires, alors que le dossier indique clairement qu’elle n’en fera jamais.

« Mon entreprise n’a pas le temps d’attendre après la bureaucratie niaiseuse ! »

C’est ce qui a convaincu la designer de mode de me raconter son histoire, le vendredi 22 juillet. J’ai rapidement contacté le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) pour comprendre sa logique.

Surprise, à 17 h 29 – un vendredi de juillet, je précise –, Marilyne Baril a reçu un courriel du MIFI : « Je vous informe que votre demande suit son traitement dans le processus du traitement simplifié. » Sans plus d’explications sur ce revirement de situation.

Peut-être s’agit-il d’une pure coïncidence. Peut-être.

« Je suis plus que surprise, je suis flabbergastée ! a réagi la designer. Je ne sais plus trop quoi penser. »

Mardi, le MIFI m’a assuré par courriel que l’évaluation des dossiers se fait en fonction de la liste en vigueur à la date de réception. Le mystère de la lettre du 19 juillet demeure donc entier.

Malgré la bonne nouvelle, Marilyne Baril devra encore être essoufflée pendant une période indéterminée. « Au lieu d’être quatre, on est trois. Ça fait une grosse différence. Travailler six jours/semaine, à un moment donné, ça ne marche plus. » Échaudée, elle demeure par ailleurs prudente et continue de se questionner au sujet de son avenir et celui de sa boutique.

Pendant ce temps, en France, une jeune diplômée en mode attend depuis trois saisons le droit de venir prêter main-forte à une PME du Québec qui rêve de voguer loin.