Personne n’aime découvrir qu’il y a moins de biscuits ou de spaghettis dans la boîte pour le même prix, ce qu’on appelle la réduflation. Ce n’est pas plus agréable d’être confronté à une baisse de la qualité du service à la clientèle, alors que la facture demeure inchangée ou pire, augmente. Un phénomène baptisé skimpflation.

Appel à tous Vous avez une idée de traduction pour skimpflation à nous soumettre ou des exemples du phénomène ? Écrivez-nous.

Le terme skimpflation est un mot-valise fusionnant le verbe to skimp, que l’on pourrait traduire par lésiner (ou gratter, comme on dit familièrement) et le nom inflation.

Chaque fois qu’on attend plus longtemps au téléphone, dans un magasin ou au restaurant pour être servis, chaque fois que notre chambre d’hôtel n’est pas nettoyée pendant notre séjour, on vit de la skimpflation. On en obtient moins pour notre argent.

Cette stratégie est utilisée par les entreprises pour contrôler leurs coûts et maintenir leurs marges de profit alors que leurs propres débours bondissent.

Pour le moment, ni l’Office québécois de la langue française, ni TERMIUM Plus, la banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada, ne proposent de traduction française. Pourtant, avec le taux d’inflation et les salaires qui ne cessent de grimper, les exemples se multiplient.

Bien sûr la pénurie de main-d’œuvre n’aide pas les entreprises à exceller en matière de service. Que ce soit dans les quincailleries, les restaurants rapides ou à l’aéroport, on s’en rend tout de suite compte. Il manque de bras. Idem dans les centres d’appels, où il manque d’oreilles. Alors on poireaute, on se déplace inutilement, on se fait répondre n’importe quoi. Dans tous les cas, c’est assez frustrant.

La qualité du service à la clientèle n’a jamais été aussi faible qu’en ce moment, convient Jean-Luc Geha, directeur de l’Institut de vente HEC Montréal et professeur. Et il ne voit pas le jour où ça pourrait s’améliorer.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Luc Geha

« Dans le temps, on disait que le problème était au gouvernement fédéral et provincial. On pouvait attendre des heures et des heures pour se faire répondre pour l’impôt. Mais c’est rendu qu’on vit ça avec des entreprises. »

Marc Gordon est aussi un expert du service à la clientèle. Depuis 25 ans, l’Ontarien donne des conférences sur le sujet et il a aidé 300 entreprises à s’améliorer. Je lui ai téléphoné pour savoir s’il constate la même dégradation de la qualité du service à la clientèle que M. Geha et moi. Sa réponse, en un mot : oui.

C’est particulièrement visible, trouve-t-il, dans l’hôtellerie et la restauration.

PHOTO FOURNIE PAR MARC GORDON

Marc Gordon

Ils n’ont pas le temps ni les ressources nécessaires pour bien former leurs recrues. La direction est trop préoccupée par les coûts et le maintien des ventes.

Marc Gordon, consultant ontarien spécialisé dans le service à la clientèle depuis 25 ans

Mais les lacunes sont généralisées.

Y compris au supermarché. Selon un sondage sur la skimpflation réalisé par Field Agent Canada auprès de 1554 consommateurs en février, 61 % ont remarqué une diminution du nombre d’employés et 44 % jugent que le service à la clientèle s’était détérioré. Les clients constatent que les files aux caisses sont plus longues et que les tablettes sont moins bien remplies, avait rapporté le magazine Canadian Grocer.

La volonté des entreprises de contourner les effets de l’inflation se fait aussi sentir aux États-Unis.

Au premier trimestre 2022, la satisfaction des clients y a atteint son niveau le plus bas en 17 ans, selon le National American Customer Satisfaction Index.

Des exemples désagréables de skimpflation y ont fait les manchettes dès 2021. Planet Money a notamment rapporté la grogne suscitée par l’élimination du service de transport entre les stationnements et les parcs d’attractions de Disney, un trajet de près d’un mille (1,6 km).

Les problèmes d’approvisionnement, de pénuries, d’inflation et de personnel, provoqués par la pandémie, ont modifié la culture des entreprises, observe Marc Gordon. « On est passé du “je veux avoir du succès” à “je veux survivre”. » Quand la COVID-19 a frappé, les entreprises ont cessé de l’appeler pour obtenir ses conseils. Elles avaient d’autres chats à fouetter.

Mais maintenant que tout est rouvert, devinez quoi ? « Personne ne veut parler de service à la clientèle », s’étonne l’expert.

Les priorités sont ailleurs : le stress au travail, l’inclusion des minorités visibles, la conciliation travail-famille, la santé mentale, etc. Ce sont des préoccupations importantes. Mais, il est intéressant de constater que l’expérience client a disparu de la liste. « Ce qui compte, ce sont les employés. »

Ces employés ont changé, eux aussi, ce qui se répercute sur la qualité du service à la clientèle, ajoute Jean-Luc Geha. Beaucoup veulent travailler moins d’heures, demeurer en télétravail et se consacrer davantage à leur famille. « Si tout le monde passe à des semaines de 30 heures sur 4 jours, c’est sûr que dans tous les domaines, il va y avoir moins d’employés et moins de services. »

Je me répète, mais on n’a pas fini d’attendre, d’être frustrés et déçus…

Lisez « Êtes-vous tanné d’attendre au téléphone ? »