En temps normal, l’été est synonyme de salades colorées composées de fruits et de légumes à bas prix. Mais de toute évidence, la saison 2022 n’est pas normale.

Le bleuet cultivé en est le parfait exemple. Depuis peut-être deux décennies, on trouvait facilement des casseaux en solde à trois pour 5 $ dans les supermarchés dès que les baies dodues du New Jersey étaient mûres. En avez-vous vu cette année ?

Le prix de la chopine de 340 grammes était de 7 $ au début de la semaine dernière, dans les Metro du Québec, avant de descendre à 5 $. J’ai fait le tour des supermarchés du Canada — de façon virtuelle, évidemment — et c’est partout pareil.

On se croirait en plein hiver. Ça, c’est la tendance générale. On peut, bien sûr, tomber sur une aubaine à l’occasion. Walmart, par exemple, a annoncé la barquette à 2,97 $ récemment. Mais c’est quand même considérablement plus cher que les autres étés.

Le prix actuel de cette succulente baie a de quoi nous étonner.

IMAGE TIRÉE D’UNE CIRCULAIRE DE JUILLET 2019

Les chopines de bleuets ont longtemps été en solde à trois pour 5 $ pendant la saison estivale.

« C’est le fruit le plus cher. Je n’ai jamais vu ça en 40 ans que le prix monte si haut, si longtemps », m’a dit Joe Lavorato, président de Gaétan Bono Fruits et Légumes, un important importateur montréalais. Tout cela est entièrement la faute de Dame Nature qui n’a pas été tendre avec la côte est américaine, explique-t-il, les champs ayant été « détruits par la grêle et des chaleurs abominables ».

Ce cocktail météo a considérablement réduit la quantité de fruits disponibles dans le marché.

Normalement, je rentre 300 palettes de bleuets par semaine. La semaine passée, on n’a même pas été capables d’avoir 30 palettes. C’est 10 fois moins.

Joe Lavorato, président de Gaétan Bono Fruits et Légumes

« Les grandes surfaces ramassent tous les volumes qu’on a », rapporte Joe Lavorato, de sorte que les petites fruiteries doivent passer leur tour. Des épiceries ont aussi décidé de ne plus vendre de bleuets, le casseau étant trop cher.

Le bleuet n’est qu’un exemple parmi d’autres. Les champs de maïs et de haricots ont eux aussi écopé dans cette région. Vivement l’arrivée des haricots québécois dans les étals, car depuis des mois, ce légume coûte aussi cher que les cerises.

Parlant de cerises, la Californie et l’État de Washington ont subi des épisodes de gel et de pluies diluviennes. Résultat : les perles écarlates se font rares, rapporte Joe Lavorato. « Normalement, la Californie va récolter 9 ou 10 millions de boîtes de cerises. Cette année, on va être à 4 millions. C’est moins que la moitié. Ça met de la pression sur les prix. »

PHOTO FOURNIE PAR GAÉTAN BONO FRUITS ET LÉGUMES

Joe Lavorato, président de Gaétan Bono Fruits et Légumes

Les importateurs de fruits et légumes frais ont toujours été forcés de composer avec les aléas ponctuels de la météo, la fluctuation des devises et des coûts de transport en montagnes russes. Mais désormais, les changements climatiques assombrissent l’avenir. « Dans mon livre à moi, c’est la plus grande peur. Comment faire pour que la planète mange adéquatement à des prix raisonnables ? C’est un challenge mondial », lâche Joe Lavorato, songeur.

Oxfam aussi s’inquiète des conséquences des changements climatiques sur la faim dans le monde. La sécheresse qui sévit depuis des années dans certains pays d’Afrique force des agriculteurs, des pêcheurs et des éleveurs à se trouver d’autres moyens de subsistance, donne l’organisme en exemple. Et la réduction des capacités de production alimentaire menace les populations de famine⁠1.

Ces jours-ci, la canicule frappe aux quatre coins du monde. Un record de chaleur de 1873 vient d’être battu à Shanghai, des forêts brûlent en Europe, des agriculteurs mexicains ont cessé leurs activités pour économiser le peu d’eau qui reste⁠2. En Italie, le fleuve Pô, qui alimente près d’un tiers de la production agricole du pays, est asséché⁠3. Sous l’effet de la chaleur, la production de lait de vache a baissé de 10 %, ce qui menace l’industrie du parmesan, a rapporté CNN⁠4.

Toutes ces nouvelles devraient nous inquiéter au plus haut point, même si ça ne semble pas être le cas⁠5. Ce n’est pas comme si on pouvait se passer de nourriture !


Quand on entend parler d’inflation alimentaire, l’impact des changements climatiques est moins facile à chiffrer que la hausse du prix des engrais, du transport ou des salaires. Plus flou. Pourtant, il s’agit d’un élément clé de l’équation dont le poids risque de s’accroître.

Le réchauffement de la planète a même des conséquences sur les rabais que vous voyez (ou ne voyez plus) dans les circulaires. Joe Lavorato raconte qu’il est de plus en plus difficile pour lui de « donner des prix aux détaillants qui les veulent trois semaines d’avance pour leurs circulaires ». Les grandes chaînes doivent donc « faire attention à ce qu’elles annoncent ».

Manger ses 5 à 10 portions de fruits et légumes par jour devient inabordable pour un nombre croissant de Québécois. Même en plein été. C’est dommage pour la qualité de l’alimentation et les budgets.

Faire un potager n’aura jamais été si rentable, pourvu que la nature coopère.

1. Lisez un texte d’Oxfam sur les changements climatiques et la faim 2. Lisez le texte sur la surchauffe aux quatre coins du monde 3. Lisez un texte sur l’état d’urgence en Italie 4. Lisez un texte de CNN sur la crise du parmesan (en anglais) 5. Lisez le texte « Les Canadiens s’informent peu sur les changements climatiques »