La mode des pourboires est encore plus répandue que je ne pouvais l’imaginer en écrivant mon premier texte sur ce sujet épineux qui suscite autant le débat que l’agacement.

« Même mon garagiste a introduit le pourboire à son terminal de paiement. Lors d’un changement d’huile, la semaine dernière, j’ai eu la surprise de constater que je devais aussi passer maintenant par l’étape du “15, 18 ou 20 %” de pourboire. Ça n’a plus de fin », m’a écrit Jean-Pierre, que je devine exaspéré.

Chloé a vécu la même chose au moment de payer... un plombier.

« Il me tend un terminal Interac pour régler la facture de la première journée des travaux. Un coquet 2800 $. Le fameux trio pourboire était affiché. J’étais consternée ! Bien évidemment, j’ai refusé de payer un pourboire à un ouvrier pour lequel on me charge 100 $ l’heure. C’est de l’indécence ! » Il faut avoir du front, quand même.

Lisez le texte « Difficile de digérer le trio "15 % - 18 % - 20 %" »

Les clients d’un fleuriste du quartier Ahuntsic, à Montréal, se font aussi proposer de laisser un pourboire, déplore Pierre.

Vous êtes nombreux à souhaiter que cette propagation, souvent incohérente, cesse. Devrons-nous un jour donner du pourboire chez McDonald’s, au centre de jardin du Rona et à l’épicerie, où, là aussi, on nous sert des repas à emporter ? Pourquoi ne pas suivre l’exemple d’autres pays où les pourboires sont inclus dans le prix ?

Voilà des interrogations fort légitimes, qui touchent autant notre portefeuille que nos valeurs. D’où les débats sur la question. Mais personne n’a de réponses. Chose certaine, la pénurie de main-d’œuvre provoque toutes sortes de phénomènes inattendus, dont la multiplication des demandes de pourboires aux clients.

Céder à la pression des employés

Le président et cofondateur des boulangeries Mamie Clafoutis, Nicolas Delourmel, est très bien placé pour en témoigner. Il s’est fait talonner par ses employés pendant un an, m’a-t-il raconté. « Je n’étais pas pour ça et je tenais mon bout. Mais j’avais trop de pression des employés. Je n’ai pas eu le choix de mettre ça en place dernièrement. Sinon, on perdait notre staff. »

PHOTO FOURNIE PAR NICOLAS DELOURMEL

Le président et cofondateur des boulangeries Mamie Clafoutis, Nicolas Delourmel, trouve que la notion de pourboire au Québec est désormais dénaturée.

Selon l’entrepreneur, « ce n’est pas correct » que les pourboires deviennent ainsi monnaie courante, particulièrement à un moment où les prix de détail montent en flèche. Aussi a-t-il tenu à ce que l’option « zéro pourboire » soit aussi clairement indiquée sur les terminaux de paiement que les options « % et $ ». « Je voulais absolument que les clients voient le zéro, sinon ils se sentent cheap ! Car ça met une pression. »

Ce compromis a permis de contenter les employés, tout en offrant une option aux clients qui ne trimballent plus de monnaie. D’ailleurs, certains avaient contacté le siège social pour exprimer leur désir de pouvoir laisser un pourboire électroniquement.

Mais cette implantation dans les neuf succursales de Mamie Clafoutis n’a pas fait que des heureux.

Elle a créé une commotion que Nicolas Delourmel n’avait pas anticipée.

Au début, les commis de 14 ou 15 ans gagnaient quasiment le double des boulangers qui ont 30 ans d’expérience et se lèvent à minuit. Ça a créé un autre problème. Ça a été mouvementé.

Nicolas Delourmel, président et cofondateur des boulangeries Mamie Clafoutis

Les employés qui font le service ont donc convenu de donner 30 % des pourboires à l’équipe qui fabrique les croissants et les pains.

Chez St-Hubert aussi, la direction a fini par accepter pendant la pandémie que les commis aux commandes à emporter et au service à l’auto touchent des pourboires pour faciliter le recrutement et la rétention du personnel.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Richard Scofield, président et chef de la direction des Rôtisseries St-Hubert

« On n’a pas le choix, sinon les gens vont travailler ailleurs », raconte le président et chef de la direction, Richard Scofield, en précisant que la politique interne est « 8 % - 10 % - 12 %, et pas de sollicitation ». Ces employés partagent « généralement » leurs pourboires avec l’équipe en cuisine, ce qui permet aussi de rendre les postes en cuisine plus attrayants. En revanche, ceux et celles qui font le service aux tables ne partagent pas.

Le hic, c’est que la Loi sur les normes du travail interdit aux employeurs d’imposer le partage des pourboires. L’attrait des postes derrière les fourneaux se retrouve donc à dépendre en partie des personnes qui font le service. L’Association Restauration Québec espère une modernisation de la loi.

Quel statut et quel salaire ?

Vous avez été nombreux à me demander combien gagnent tous ces commis qui ont désormais accès à des pourboires. Sont-ils véritablement des salariés à pourboires ? Si vous le saviez, la décision d’ajouter 15 % à l’addition serait plus simple, m’avez-vous écrit.

Vérification faite, les employés aux caisses ne sont pas – sauf exception – des salariés à pourboires.

Depuis le 1er mai, le salaire minimum au Québec est de 14,25 $, et de 11,40 $ pour les salariés à pourboires. Or, il est très difficile, voire impossible, d’embaucher à ces taux qui sont les minimums permis, et non des standards, disent les restaurateurs. Bref, les commis qui vous servent gagnent généralement plus de 14,25 $ l’heure.

Cela ne veut pas dire, comme certains le croient, que les pourboires qu’ils reçoivent ne sont pas imposables. Tous les Québécois sont tenus de déclarer au fisc les pourboires reçus, même ceux en espèces.