Malgré l’enthousiasme des dernières années, la littératie des consommateurs sur l’industrie alimentaire demeure assez limitée. Et pour profiter de meilleures politiques alimentaires, cela devient un problème.

Il n’y a pas un jour qui passe sans qu’un groupe, voire un gouvernement, change les règles pour les agriculteurs. Au nom de la planète, du bien-être animal ou encore de notre propre santé, les règles évoluent malgré le savoir et l’expérience de nos cultivateurs et éleveurs.

Ce phénomène particulier se produit partout dans le monde. Les agriculteurs ont longtemps été considérés comme les meilleurs gardiens de l’environnement sur terre. Après tout, ils vivent de la terre et des animaux. Alors, pourquoi remettre en doute leurs opinions sur les pratiques agricoles ? Pourtant, un nombre croissant d’évènements suggère que les opinions populistes renforcées par les réseaux sociaux contrôlent lentement nos politiques alimentaires partout dans le monde.

Aux Pays-Bas, les agriculteurs ont protesté et aspergé plusieurs bâtiments publics de fumier après que les politiciens eurent voté sur des propositions visant à réduire les émissions d’azote – une décision très controversée. Le gouvernement a cité le fait que les émissions d’oxyde d’azote et d’ammoniac, produites par le bétail, devaient être considérablement réduites à proximité des zones naturelles qui font partie d’un réseau d’habitats protégés pour les plantes et la faune menacées s’étendant sur plusieurs pays. Une telle politique se justifie possiblement par notre volonté de diminuer la pollution, mais le contexte n’a guère de sens.

Bien que les Pays-Bas soient le troisième producteur agricole mondial en volume et le deuxième en valeur, l’administration du pays veut réduire son cheptel de moitié, même devant une crise alimentaire planétaire imminente, afin de pouvoir respecter les limites d’azote fixées à Bruxelles.

L’objectif porte sur la conformité aux nouvelles règles de l’Union européenne sur la réduction de la pollution par l’azote. Pour atteindre ces cibles, les agriculteurs devront réduire ou même cesser leurs activités, selon certaines sources. Comparativement à tout ce qui se passe dans le monde, ces mesures semblent extrêmes.

De l’autre côté du spectre, ici même au Canada, les producteurs laitiers deviennent toujours plus puissants. Il suffit de penser à la grève qui sévit en ce moment chez Agropur au Québec. Pendant des années, les producteurs laitiers ont prétendu être victimes de grèves, de pandémies et d’autres évènements imprévus… et nous les avons toujours crus. Mais en réalité, les producteurs laitiers gaspillent entre 100 et 300 millions de litres de lait chaque année, et ce gaspillage a toujours été admis implicitement par le public, même lorsque les prix du lait à l’épicerie augmentent.

Malgré les récentes hausses de prix record des produits laitiers et les difficultés financières qu’éprouvent les familles en raison de l’inflation alimentaire, le consommateur remet rarement en question notre marché du lait puisque les producteurs prétendent qu’il ne s’en trouvera guère affecté. Même si notre système de quotas est censé éliminer toute possibilité de gaspillage, on jette délibérément du lait depuis des décennies et les Canadiens l’acceptent. Ce débat compliqué est alimenté par la rhétorique orchestrée d’un groupe de pression connu pour son pouvoir et son influence : les producteurs laitiers du Canada. Certains politiciens, des universitaires et même des journalistes ont payé un lourd prix pour avoir critiqué le régime. Le manque de débat permet aux extrémistes de dicter nos politiques agroalimentaires.

Les exemples abondent au Canada. À Ottawa, plusieurs comités, conseils et groupes de travail, organisés par la ministre Marie-Claude Bibeau et son ministère, rassemblent principalement des personnes partageant les mêmes idées. Pitoyable.

L’élaboration des politiques alimentaires en ce moment se trouve en péril. Les débats dans le secteur agroalimentaire, qui ont été entachés par notre incapacité collective à échanger des idées, incluent des discussions liées au glyphosate et au génie génétique, aux changements climatiques, à l’étiquetage des aliments et aux échanges mondiaux.

Principalement à cause des réseaux sociaux jumelés à de nombreux médias très populistes, notre capacité généralisée à savoir ce qu’il advient de nos politiques alimentaires a complètement disparu.

Même dans les échelons supérieurs des universités, la culture du bannissement (cancel culture) entre collègues se répand et les débats ne sont pas encouragés. La crainte de perdre tout financement de recherche l’emporte sur tout le reste.

Cette situation ne s’observe pas seulement dans les établissements. En tant que citoyens, au cours de la dernière décennie, nous avons acquis le pouvoir d’échanger nos points de vue et commentaires en 140 caractères ou moins sur diverses plateformes. Mais ce nouveau moyen de communication par l’intermédiaire des réseaux sociaux s’avère plus efficace pour détruire les idées que pour en construire ou mener de l’avant de nouveaux concepts.

Les consommateurs ont accès à plus d’information, mais cela rend également la société intellectuellement plus vulnérable. Pendant que les critiques se voient souvent réduites au silence, nos politiques deviendront limitées dans leur portée. Les cas des Pays-Bas et du Canada se retrouvent aux deux extrêmes et nous exposent des situations quasi invraisemblables. Pour soutenir une feuille de route qui nous mène à de meilleures politiques alimentaires, nous devons protéger les voix discordantes souvent rejetées avec véhémence par la masse, sur les réseaux sociaux et ailleurs. Les critiques n’ont aucune chance de se faire entendre pour le moment.