Il y a l’indémodable et géant E = mc⁠2. Voilà maintenant : ln(Y) = a + gZ + BFemme. Cette formule permet de calculer l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes tout en excluant l’impact de la maternité, du secteur d’activité et du domaine d’études. En d’autres mots, on peut déterminer l’influence du sexe, et seulement du sexe, sur les salaires.

L’équation a été mise au point par Emna Braham, directrice adjointe de l’Institut du Québec, et sa collègue Annie Pan, du FutureSkills Research Lab de l’Université de Toronto.

Pendant un an, elles ont décortiqué une nouvelle base de données de Statistique Canada contenant des informations sur 30 000 Québécois diplômés en 2013, dont l’évolution de leur salaire pendant 5 ans.

Le résultat de cette démarche inédite est aussi fascinant que préoccupant.

Il s’avère que dès l’entrée sur le marché du travail, une femme et un homme ayant en poche un diplôme postsecondaire identique ne gagneront pas le même salaire. L’écart moyen est de 9 %.

Et les femmes n’améliorent pas leur condition avec le temps. Au bout de cinq ans, elles gagnent 16 % de moins que les hommes. Évidemment, l’impact du nombre d’heures travaillées a été pris en considération afin de comparer des pommes avec des pommes.

Celles qui travaillent fort pour obtenir des diplômes plus difficiles qui mènent vers des emplois particulièrement payants ne se retrouvent pas en meilleure position. En fait, c’est pire.

Parmi les 10 % de travailleurs les mieux rémunérés, les données démontrent que le sexe a encore plus d’impact sur le chèque de paie. L’écart salarial en faveur des hommes est de 13 % un an après l’obtention du diplôme et de 19 % après 5 ans.

« Contrairement à la croyance populaire, les femmes ne sont donc pas seulement confrontées au ‟plafond de verre” en milieu ou en fin de carrière pour accéder à des postes plus importants et mieux rémunérés, a réussi à démontrer Emna Braham. Elles doivent composer avec ce vent contraire tout au long de leur parcours professionnel. »

On sait que les écarts de revenus se creusent au fil du temps. Et on attribue souvent le phénomène à la maternité, au fait que les femmes travaillent moins d’heures ou qu’elles refusent des promotions pour être présentes à la maison. Or, il est maintenant démontré que les femmes gagnent moins d’argent dès le départ, bien avant qu’elles aient l’idée de fonder une famille. Emna Braham ne s’attendait pas à une telle révélation, m’a-t-elle confié.

Photo fournie

Emna Braham, directrice adjointe de l’Institut du Québec

Une fois les chiffres devant les yeux, on veut des explications !

Bien sûr, on sort alors des mathématiques pures, de la science, de l’exactitude. On tombe dans les différences, biologiques ou psychologiques, innées ou acquises, entre les hommes et les femmes. On se retrouve à parler de valeurs, de choix de vie, de préférences. On s’amène sur un terrain parfois miné et assurément propice au débat.

Mais la démarche d’Emna Braham et de sa collègue, pour comprendre la cause des écarts salariaux, est des plus rigoureuses. Elles ont analysé 60 études scientifiques portant sur cette question pour en dégager des constats établis avec rigueur.

Leurs sept explications sont donc loin des préjugés et des suppositions, même si elles contiennent quelques verbes au conditionnel (voir l’onglet suivant).

Elles évoquent notamment un phénomène intéressant : la « porte de verre » sur laquelle les femmes se cognent le nez bien avant de se heurter la tête contre le « plafond de verre ».

De grandes entreprises, parmi celles qui paient le mieux, sont dotées de ce genre de porte invisible en ayant des valeurs ou des pratiques peu accueillantes pour les travailleuses.

Les femmes font aussi des choix professionnels différents des hommes avant même l’arrivée d’un premier enfant… car elles anticipent certaines responsabilités. « Ce sont des choix éclairés, qui ne sont pas faits sous la contrainte, qui sont basés sur des préférences personnelles, des plans de vie. Mais ça peut expliquer les écarts de revenus », dit Emna Braham.

Certes, la nature humaine et les réflexes ne changeront pas du tout au tout dans les prochaines années. Mais il est possible de mettre en place des mesures pour réduire les inégalités salariales qui finissent par avoir des conséquences toute la vie durant. De fait, les revenus de retraite des femmes sont inférieurs à ceux des hommes.

Emna Braham rappelle que la quasi-totalité des congés parentaux pris par les pères le sont en présence de la mère.

Ainsi, elle propose d’accorder des semaines supplémentaires de congé aux pères afin qu’ils puissent être seuls avec leur enfant, comme c’est le cas en Norvège.

Cela favorise le sentiment de compétence des pères auprès de l’enfant, une meilleure compréhension de la charge de travail et, à terme, un meilleur partage du travail domestique.

Les entreprises peuvent, de leur côté, se doter de programmes pour assurer une relève féminine dans les postes les plus élevés et les mieux rémunérés. Et comme la négociation des salaires désavantage les femmes, la divulgation des grilles salariales pourrait aider.

Même si les écarts salariaux ont beaucoup diminué depuis l’arrivée massive de femmes sur le marché du travail, on observe une stagnation depuis 2015. Y a-t-il moyen de franchir le dernier pas qui sépare les deux sexes de l’égalité ? Chose certaine, on ne perd rien à essayer.

Sept explications derrière les écarts de revenus

1. Des échelons difficiles à gravir, même sans enfants

Ce n’est pas seulement en milieu ou fin de carrière, une fois les enfants nés, que les femmes peinent à accéder aux postes les plus payants des organisations. Elles éprouvent des difficultés à gravir les échelons des organisations dès leur arrivée sur le marché du travail. « L’écart de revenus se creuse au cours des cinq premières années de carrière, que l’on ait ou non des enfants », révèle l’étude.

2. La porte de verre des entreprises qui paient bien

Les hommes et les femmes n’auraient pas les mêmes critères pour choisir leur employeur (industrie, taille, mission, culture d’entreprise). Ce phénomène, appelé « porte de verre », signifie que les femmes accèdent moins aux firmes qui paient le mieux. Car ces dernières sont, généralement, « moins accueillantes envers les femmes » en offrant « moins de mesures de conciliation travail-famille » ou en ayant une culture d’entreprise qui « valorise davantage les modèles de carrière masculins ».

3. L’anticipation de responsabilités familiales et la charge mentale

Le simple fait d’anticiper d’éventuelles responsabilités familiales pourrait jouer un rôle dans les choix de carrière et d’employeur. « Il a été largement documenté que les responsabilités familiales plus lourdes des femmes (enfant, proche aidant) les amèneraient à rechercher des emplois qui leur permettent de mieux concilier travail et vie personnelle. Ainsi, cette dynamique pourrait être à l’œuvre bien avant d’avoir un premier enfant. » Idem pour la fameuse charge mentale, plus lourde même pour les femmes sans enfant.

4. Les femmes négocient moins leur salaire

Les femmes demandent généralement un salaire initial moindre que leurs confrères, constate-t-on aux États-Unis. En outre, elles négocient moins, car elles sont plus intéressées par les avantages sociaux, l’horaire flexible et l’atmosphère de travail que par la rémunération. De plus, certaines femmes préfèrent ne pas négocier leur salaire afin de conserver des relations plus harmonieuses avec leurs gestionnaires et leurs collègues. Cette réticence « est en fait justifiée », note une étude, car les femmes s’en trouvent « souvent socialement pénalisées ».

5. Des pratiques organisationnelles qui ne favorisent pas le développement de carrière

Des études indiquent que les femmes « ont parfois un accès moindre à la formation en cours d’emploi, ce qui réduit leurs possibilités d’avancement de carrière ». Autrement dit, des pratiques organisationnelles sont susceptibles de contribuer aux différences entre les hommes et les femmes. Aussi, les femmes tendent à fuir les environnements de travail qui n’assurent pas une égalité des chances, plutôt que d’y gravir les échelons.

6. Des compétences en numératie moindre

« Au Québec, seulement 7,1 % des femmes de 16 à 64 ans possèdent un niveau de compétences en numératie élevé ou très élevé comparativement à 14,3 % des hommes. […] Or, les compétences en numératie sont plus que jamais recherchées sur le marché du travail et de mieux en mieux rémunérées », note l’étude. Deux facteurs pourraient expliquer ce phénomène : la manière d’enseigner les mathématiques privilégie les garçons et les femmes sont sous-représentées dans les domaines liés aux sciences et aux mathématiques, « des milieux où les hommes continuent d’acquérir de nouvelles compétences en numératie ».

7. La discrimination

Les normes sociales façonnent la manière dont les hommes et les femmes développent certains attributs psychologiques, tels que l’aversion au risque ou la propension à la compétition, ainsi que des compétences non cognitives comme la capacité d’écoute. « Ces attributs et ces compétences qui diffèrent habituellement entre les deux sexes expliqueraient en partie les choix » professionnels qui ont un impact sur les revenus (domaine d’études, type d’employeur, etc.).