Pour éviter de devoir réduire leurs heures d’ouverture, bien des restaurants multiplient les stratégies originales pour recruter des employés. À Greenfield Park, au sud de Montréal, un A&W propose un taux horaire plus élevé aux candidats qui acceptent de travailler à temps plein. L’idée peut sembler accrocheuse, mais…

« On engage », indiquait la grosse pancarte turquoise plantée dans le gazon devant l’A&W du boulevard Taschereau. Pas besoin d’entrer pour connaître le salaire offert. Il est dévoilé d’emblée.

Le restaurant offre 16,25 $ l’heure pour les travailleurs à temps plein dont l’horaire sera du « lundi au vendredi de jour », en plus d’avantages sociaux « pas plates ». Ceux qui seront embauchés à temps partiel auront plutôt droit à 15 $.

Je n’ai pas réussi à connaître le niveau d’efficacité de cette stratégie pour pourvoir les quarts de travail de semaine, quand les adolescents fréquentent l’école. Le propriétaire de cette franchise A&W n’a pas répondu à ma demande d’entrevue.

Chose certaine, l’idée d’offrir un taux plus élevé aux travailleurs à temps plein n’est pas courante dans l’industrie de la restauration « pour la simple et bonne raison que ce n’est pas permis », explique le porte-parole de l’Association Restauration Québec (ARQ), Martin Vézina.

De fait, l’article 41.1 de la Loi sur les normes du travail (LNT) interdit d’offrir un taux horaire différent en fonction du nombre d’heures travaillées par semaine, si les employés effectuent les mêmes tâches dans le même établissement. Bien sûr, l’expérience ou l’ancienneté peuvent justifier des écarts salariaux entre deux collègues, mais pas le « statut d’emploi » (temps plein ou temps partiel).

Les tribunaux ont déjà été saisis d’une telle affaire dans les années 1990 qui impliquait la Maison Simons, m’a appris l’avocate en droit du travail Marianne Plamondon, du cabinet Langlois.

La Commission des normes du travail (devenue CNESST) avait déterminé que le détaillant de Québec devait offrir le même taux horaire à ses vendeuses, peu importe leur statut. Simons a porté la cause en appel arguant qu’il attribuait à chaque catégorie de vendeurs des tâches particulières. Mais en 1995, la Cour d’appel a refusé d’entendre ses arguments et maintenu la décision initiale.

Responsabilités différentes

L’offre salariale du A&W de Greenfield Park ne serait pas généralisée parmi les 180 franchises de cette enseigne au Québec, selon Stéphan Bisson, directeur marketing pour le Québec chez A&W.

« La gestion des ressources humaines et du recrutement relève de chacun des opérateurs individuellement. Les politiques salariales et les bénéfices sont développés selon leur stratégie de gestion. »

Quant à la légalité des deux tarifs horaires annoncés sur l’affiche, le dirigeant m’a écrit, après que je lui eus envoyé mercredi le verbatim de l’article 41.1 de la LNT, que « les salaires différents sont liés au fait que les responsabilités et les tâches varient d’un employé à l’autre ». Au téléphone, il m’a assuré que l’inventaire et la commande, par exemple, ne sont effectués qu’en semaine.

Donnons-lui le bénéfice du doute, même si le contenu de l’annonce est critiquable. Et même si le panneau avait disparu en fin de journée, jeudi.

Les franchisés A&W trouvent « difficile de se démarquer dans l’environnement actuel », ce qui les force à redoubler d’efforts « pour tenter d’attirer l’attention des employés potentiels », ajoute Stéphan Bisson.

Une situation généralisée dans l’industrie.

Bonbons et imagination

Depuis le début de la pandémie, beaucoup de personnes qui faisaient carrière en restauration ont abandonné l’industrie. D’où la difficulté accrue de recruter du personnel disponible à temps plein.

Pour être attrayants, les restaurateurs sont de plus en plus nombreux à offrir des assurances collectives, des primes de rétention du type « 500 $ après trois mois de travail » ou le remboursement des frais de scolarité, énumère l’ARQ. Des cuisines ferment plus tôt pour que les employés finissent à une heure raisonnable.

« Il y a cette réflexion : comment faire pour se distinguer, car tout le monde cherche des employés. Et on se bat contre d’autres secteurs comme celui des résidences pour personnes âgées où l’horaire finit tôt », fait remarquer Martin Vézina.

Malgré tous les bonbons et l’imagination du monde, des restaurants sont carrément forcés de fermer des jours entiers ou de réduire leurs heures d’accueil. C’est le cas chez A&W et Tim Hortons, dont le succès s’était pourtant bâti sur l’horaire 24/7. Ce modèle d’affaires basé sur le service en tout temps est de plus en plus insoutenable pour les entrepreneurs. Ils le manifestent, avec raison.

Les consommateurs devront s’y faire. La pénurie de main-d’œuvre nous contraint à la patience envers les employés moins expérimentés et moins nombreux. Pas juste dans les restaurants, mais partout : au magasin, au téléphone (avez-vous tenté de joindre l’émetteur de votre carte de crédit récemment ?), au bureau des passeports, à l’aéroport.

Manger ses émotions ne sera pas la solution.

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