S’agirait-il d’un tournant pour le Québec ? D’une tendance concernant un indicateur fondamental de notre économie, soit la productivité du travail ?

C’est ce que laissent penser les données publiées vendredi par Statistique Canada, qui comparent la productivité des entreprises par province.

Essentiellement, le Québec continue de rattraper les autres grandes provinces canadiennes. Depuis trois ans, la productivité de nos entreprises a même crû deux fois plus vite que la moyenne canadienne et presque quatre fois plus vite qu’en Ontario. La nouvelle est majeure, sachant que le Québec a un retard à combler depuis plusieurs années.

La productivité du travail – ou plutôt sa croissance – est l’un des indicateurs déterminants de notre économie, actuellement, bien davantage que l’emploi. Attention aux mots, il n’est pas question de la cadence du travail, mais plutôt de l’intelligence du travail, de son organisation plus judicieuse, qui passe par l’innovation, l’utilisation des plus récentes technologies, de même que l’investissement dans des outils plus performants, entre autres.

Vous voulez des hausses de salaire durables ? Militez pour une meilleure productivité. Parce qu’autrement, les entreprises devront réduire leur marge de profit pour y parvenir ou encore hausser le prix de leurs produits, ce qui les rendra moins concurrentielles, et tous y perdront.

Voyons les chiffres de productivité, définie comme le produit intérieur brut (PIB) par heure travaillée. Dans presque toutes les provinces, 2021 a été catastrophique, et pour une raison bien simple : l’année pandémique 2020 à laquelle 2021 se compare a bouleversé le portrait.

Les heures travaillées ont fortement reculé en 2020, mais le PIB pas autant, vu les prestations des gouvernements et l’aide aux entreprises. De plus, ce sont les entreprises aux employés faiblement rémunérés qui ont écopé (restauration, hébergement, etc.), pas les autres. Résultat : le PIB par heure travaillée a artificiellement explosé en 2020, alors qu’en 2021, quand tout le monde est revenu au travail, cet indicateur a lourdement chuté (-3,9 % au Québec et - 5,8 % au Canada),

Pour tirer des conclusions, il faut comparer 2021 à l’avant-pandémie, par exemple 2019 ou 2018. Ce faisant, on constate que la productivité du travail a été favorable au Québec. Elle s’est accrue de 5,6 % sur trois ans, contre 2,5 % au Canada et 1,5 % en Ontario. Ces données sont en dollars constants, c’est-à-dire nettoyées de l’inflation.

Le Québec arrive même au sommet des grandes provinces, devançant la dynamique Colombie-Britannique (5,1 %), mais derrière les provinces maritimes, où la productivité a augmenté fortement.

« S’il y a un changement de tendance, c’est une très bonne nouvelle », dit Jimmy Jean, économiste en chef du Mouvement Desjardins, qui n’avait pas encore décortiqué les données de Statistique Canada de vendredi.

Que se passe-t-il ? L’économiste Guillaume Marchand, de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), croit que la démographie a un rôle à jouer. « Notre population vieillissante et le manque de main-d’œuvre font en sorte qu’il y a moins de gens pour faire le travail. Comme les entreprises veulent continuer à produire autant, elles doivent investir », me dit-il.

Au regard des récentes données, justement, on constate que les investissements au Québec connaissent une progression intéressante. De fait, depuis cinq ans, la croissance des investissements non résidentiels a été plus forte au Québec que la moyenne canadienne quatre années sur cinq.

De plus, une enquête récente de Statistique Canada sur les intentions d’investissement en 2022 place le Québec au 2e rang des provinces canadiennes (+ 11,8 %), devant l’Ontario (+ 9,8 %) et la Colombie-Britannique (+ 7,2 %).

La filière des batteries électriques, entre autres, pourrait bien alimenter les investissements, avec les projets de GM, BASF, Sayona ou Nemaska Lithium.

« Il y a un certain rattrapage de la productivité qui se fait, oui. L’engouement pour les dépenses en immobilisation est fort depuis quelques années, on le sent », dit M. Marchand.

En attendant, la rémunération totale au Québec augmente bien davantage qu’ailleurs au Canada. Elle était de 38,82 $ par heure travaillée au Québec en 2021, au 5rang des provinces. La hausse sur 3 ans atteint 19,4 %, contre 13,9 % pour la moyenne canadienne.

Selon Jimmy Jean, la productivité est un antidote à l’inflation, une façon d’avoir des hausses de salaire durables, surtout en ces temps de forte hausse des prix (tel qu’expliqué plus haut). Pour le moment, le bond de la rémunération au Québec n’est toutefois pas expliqué par la hausse de la productivité, dit-il.

Au fait, quelle est cette productivité, en valeur absolue ? En 2021, la productivité des entreprises a été de 58,40 $ par heure travaillée au Canada. Le Québec est à 52,40 $, la Colombie-Britannique, à 53,10 $ et l’Ontario, à 54,80 $.

Ces valeurs absolues ne dépendent pas seulement du dynamisme des entreprises, mais aussi de la composition de l’économie. À Terre-Neuve-et-Labrador, la productivité est élevée (87,20 $ par heure travaillée), mais c’est en raison de la forte présence du pétrole, comme en Alberta (80,50 $). La Nouvelle-Écosse est à 44,00 $.

L’important est la progression relative de l’indicateur de productivité, sa croissance annuelle. À ce chapitre, le Québec doit faire mieux non seulement que les autres provinces, mais aussi que les États-Unis, redoutable concurrent. Chez notre voisin du Sud, la productivité croît souvent de plus de 1,5 % par année, contre 1,3 % au Québec depuis 10 ans et 1,1 % au Canada.

Il faut espérer que la tendance des trois dernières années au Québec – 5,6 %, ou 1,85 % par année – se poursuivra.

Consultez les données de Statistique Canada