Le Québec doit cesser de vendre son électricité propre au rabais. Et se méfier du nouvel eldorado de l’environnement, l’hydrogène vert.

Il n’y a pas si longtemps, dérouler le tapis rouge aux grands projets énergivores pouvait se justifier, dans un contexte de surplus d’énergie et de chômage élevé. Mais les surplus du bloc patrimonial d’Hydro-Québec, à 3 cents le kilowattheure, seront épuisés dès 2026, aussi bien dire demain. Et les coûts des nouveaux projets augmentent vite.

« Si on s’approvisionne à 11 sous et qu’on a un tarif industriel à 5 sous, ben là, ça, ça ne marche pas », a dit Sophie Brochu, PDG d’Hydro-Québec, lors d’une conférence au Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), il y a deux semaines.

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Il était temps qu’on aborde cette question, comme le fait Hydro-Québec dans son plan stratégique. Il reviendra au gouvernement du Québec de fixer les balises, mais les explications de Sophie Brochu sont incontournables : le Québec aura besoin de beaucoup d’énergie verte pour atteindre la carboneutralité et il doit donc limiter le gaspillage.

PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

Sophie Brochu, PDG d’Hydro-Québec

Depuis le début de l’année, Hydro-Québec a reçu des demandes pour alimenter d’éventuels projets énergivores totalisant 15 000 MW. C’est énorme, sachant que l’actuelle demande industrielle est de 8500 MW et que la capacité de production du Québec est de quelque 40 000 MW.

Pourquoi autant de demandes ? Eh bien voilà, Hydro-Québec est sollicitée pour alimenter le nouvel eldorado de l’environnement, soit l’énergie produite avec de l’eau. De cette eau est extirpé l’hydrogène, qui permettrait de déplacer des véhicules lourds et d’alimenter certains grands secteurs industriels sans émission de GES.

Des 15 000 MW de projets, les deux tiers concernent la production d’hydrogène. De grands groupes internationaux cherchent des sources d’énergie verte et bon marché dans le monde pour se positionner, et le Québec est évidemment sur la liste.

L’un des grands acteurs, la société allemande Hy2gen, a ébruité son projet de 1 milliard de dollars à Baie-Comeau, qui exigerait 300 MW de puissance hydroélectrique. L’hydrogène vert pourrait servir à alimenter l’aluminerie Alcoa et nourrir les navires de carburant vert. Le port de Baie-Comeau est d’ailleurs vu comme un atout pour Hy2gen. La Caisse de dépôt et placement est l’un des investisseurs, selon le quotidien Le Soleil.

Lisez l’article du Soleil « Un projet d’énergie verte frisant le milliard à Baie-Comeau »

Mais il y a un hic. La production d’hydrogène vert, notamment par électrolyse de l’eau, exige énormément d’hydroélectricité.

Et au bout du compte, si cet hydrogène sert de carburant pour un camion lourd, par exemple, 3 kWh d’hydroélectricité ne génèrent que 1 kWh d’énergie hydrogène vert1. En comparaison, l’efficacité de la batterie lithium-ion pour une voiture électrique est de 95 %.

La production d’hydrogène vert à partir d’hydroélectricité doit donc être réservée à des utilisations spécifiques et très limitées, par exemple comme batterie pour des périodes de pointe ou pour des régions éloignées.

Dans ce contexte, inutile de dire que l’exportation est une hérésie. Qui veut vendre notre hydroélectricité 5 cents le kilowattheure à un producteur d’hydrogène alors que l’approvisionnement pourrait nous coûter 11 cents, et qu’en plus, cette énergie sera exportée sans qu’on en tire profit pour notre développement ?

La situation est différente dans l’ouest du pays. L’hydrogène qui est produit en usine avec du gaz naturel (CH4) permettrait de capter le carbone qui s’en dégage, ce qui n’est pas le cas lorsque le gaz naturel est brûlé, comme en temps normal.

Et cet hydrogène dit « bleu » reviendrait moins cher à produire qu’un litre de diesel, promet-on. Ce n’est pas pour rien que le Congrès canadien sur l’hydrogène a lieu à Edmonton, en Alberta, ces jours-ci.

Le ministre de l’Énergie Jonatan Julien, qui a promis de dévoiler sa stratégie hydrogène d’ici la fin du printemps, devra donc y aller avec parcimonie. D’autant plus que selon le GIEC, l’hydrogène ne représentera pas plus de 2,1 % de l’énergie mondiale consommée en 2050.

Pas sûr que le Parti libéral du Québec, qui veut faire de l’hydrogène un projet de société pour le Québec, en a bien pris note.

Sophie Brochu a raison de lever un drapeau jaune, voire rouge. Hydro-Québec a d’ailleurs averti les promoteurs réclamant plus de 50 MW de puissance de ne pas rêver en couleurs, en dépensant hâtivement leur argent.

Voici un extrait de la lettre qui leur a été transmise dernièrement :

« Bien que nous disposions d’un volume significatif d’électricité, nous travaillons, de concert avec le gouvernement, à développer des lignes directrices qui permettront de déterminer les projets les plus porteurs qui pourront être autorisés. Conséquemment, il importe que vous fassiez preuve d’une saine prudence dans la mise en œuvre de vos projets tant que ceux-ci ne feront pas l’objet d’une acceptation claire de la part d’Hydro-Québec. »

La société d’État peut refuser les projets de plus de 50 MW, mais ne peut le faire, en théorie, pour les projets plus petits.

Il y a 20 ans, je dénonçais le projet d’agrandissement de l’aluminerie Alcoa, à Deschambault, parce qu’il aurait coûté 480 000 $ par emploi créé par année pendant 25 ans, vu les faibles tarifs d’Hydro-Québec2.

Le raisonnement est le même aujourd’hui. Les ministres Jonatan Julien et Pierre Fitzgibbon devraient tempérer leurs ardeurs.

1. Passer d’un kilowattheure hydroélectrique à un kilowattheure d’hydrogène entraîne une perte de 30 à 40 %, selon qu’il soit gazeux ou liquide. Et si cet hydrogène sert de carburant pour un camion lourd, il faut ajouter une autre perte, si bien qu’au bout du compte, l’hydrogène ne récupère que de 30 à 45 % de l’énergie hydroélectrique dans un tel cas.

2. Les calculs du défunt économiste Marcel Côté se basaient alors sur l’écart entre le coût du bloc patrimonial (3 cents le kilowattheure) et les coûts des nouveaux projets hydroélectriques, alors de 6 cents. Pour diverses raisons, le projet n’a finalement pas eu lieu.