La déclaration avait suscité, et à juste titre, colère et consternation, en 1962. Aucun candidat francophone n’avait les compétences requises pour occuper l’un des 17 postes de vice-président du Canadien National (CN), selon son président Donald Gordon. Soixante ans plus tard, le CN, qui a toujours son siège social au centre-ville de Montréal, estime cette fois qu’aucun gestionnaire francophone n’a les aptitudes pour siéger à son conseil d’administration. Un déplorable retour en arrière.

Après le scandale du discours unilingue du PDG anglophone d’Air Canada, Michael Rousseau, à la tribune de la Chambre du commerce de Montréal, à l’automne dernier, voilà qu’une nouvelle polémique linguistique printanière vient d’éclater avec la décision du Canadien National de ne proposer aucun candidat francophone pour siéger à son conseil d’administration.

Cette nouvelle polémique risque de faire encore beaucoup plus de bruit que la précédente puisque le gouvernement Legault avait déjà mis en garde l’entreprise avant même l’annonce en janvier dernier de la nomination de la nouvelle PDG unilingue anglophone du CN, Tracy Robinson.

La Caisse de dépôt, qui fait partie des 10 plus importants actionnaires du CN, a aussi vertement critiqué mercredi cette anomalie anachronique qui semble nous ramener à l’époque de la déclaration raciste du PDG Donald Gordon de 1962.

Avec le nouveau conseil d’administration qui accueillera trois nouveaux administrateurs, deux Américains et une Albertaine, aucun administrateur francophone ne participera aux délibérations des réunions du conseil, puisque Jean Charest, qui avait été nommé au conseil du CN en janvier, a démissionné pour réaliser son retour en politique.

On a préféré au CN nommer une gestionnaire albertaine pour pourvoir le poste laissé vacant par Jean Charest, plutôt que de dénicher un candidat québécois dans le vaste et diversifié champ de compétences d’administrateurs et d’administratrices chevronnés du Québec.

Joint en début de soirée mercredi, Sean Finn, vice-président exécutif aux services corporatifs et chef de la direction des affaires juridiques du CN, a convenu que la situation n’était pas optimale pour l’image de l’entreprise et que le conseil d’administration était pleinement conscient de l’enjeu linguistique au Québec.

« On a été pris de court avec la décision de M. Charest de se lancer en politique. On l’a nommé le 25 janvier pour un mandat de cinq ans, et 22 jours plus tard, il annonce sa démission. Il fallait le remplacer rapidement par quelqu’un qui a les qualifications pour remplir la fonction.

« Ça nous prenait un administrateur canadien pour obtenir une majorité de 6 Canadiens et 5 Américains au conseil et on a nommé une candidate que l’on connaissait bien et au profil qu’il nous fallait », explique Sean Finn.

Mais pourquoi ne pas avoir pris le temps de dénicher un candidat administrateur québécois pour éviter de raviver les braises d’une crise linguistique qui couvait déjà ?

« La situation va être réglée dans la prochaine année. On attend deux départs au cours des prochains mois d’administrateurs qui arrivent à la fin de leur mandat. On va corriger la situation, le conseil est hautement conscient des enjeux », insiste le vice-président exécutif.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Jacques Ruest, ancien président du CN

Une année dans la houle

Depuis sa privatisation en 1992, le CN a toujours été dirigé par un PDG francophone, mis à part l’interlude du règne de Hunter Harrison qui a succédé, de 2003 à 2009, aux 10 années de présidence de Paul Tellier.

Après Hunter Harrison, Claude Mongeau, Luc Jobin et plus récemment Jean-Jacques Ruest se sont relayés tour à tour comme PDG du transporteur.

On le sait, la haute direction du CN a dû manœuvrer en terrain hostile tout au long de la dernière année parce qu’elle était harcelée par un actionnaire militant, le Fonds spéculatif TCI établi à Londres, qui exigeait des changements à la direction de l’entreprise, qu’elle jugeait sous-performante.

TCI a finalement obtenu deux postes d’administrateur au sein du prochain conseil du CN, deux gestionnaires américains qui ont pourvu deux postes vacants. Le troisième, qui devait être occupé par Jean Charest, a été confié à l’Albertaine Susan C. Jones.

N’empêche que malgré les contingences avec lesquelles le CN devait manœuvrer, la sensibilité linguistique au sein des grandes sociétés québécoises – qui a été fortement exacerbée par l’affaire Air Canada – aurait dû allumer certains voyants rouges que le descriptif de la circulaire d’information aux actionnaires ne mentionne nullement.

Dans cette circulaire, on apprend simplement que le conseil d’administration du CN ne comptera aucun administrateur du Québec alors qu’il en dénombrera trois de l’Alberta, deux de l’Ontario, un de Colombie-Britannique et cinq des États-Unis.

À la lecture du document, on se sent revenir 60 ans en arrière et on n’a surtout pas le goût de rejouer dans ce mauvais vieux film.