Les érables coulent, les bouilleuses chauffent à plein régime, la saison des sucres est bien entamée et elle s’annonce beaucoup plus productive que celle de l’année dernière, affectée par un temps chaud beaucoup trop hâtif. Ça tombe bien puisque l’industrie doit reconstituer sa réserve stratégique de sirop d’érable qui a été sollicitée de façon extraordinaire depuis deux ans par l’explosion de la demande mondiale.

Comme des centaines de milliers de consommateurs dans le monde, j’aime le sirop d’érable. Je l’utilise pour sucrer mon café, pour réduire l’acidité de la tomate dans ma sauce à spaghetti, dans mes marinades pour grillades de porc, de poulet ou de bœuf, bref, je suis pas mal sirop, 12 mois sur 12.

Cet amour du sirop d’érable n’est pas exclusif, il est contagieux et n’a visiblement pas de frontières puisque les ventes de sirop québécois ont progressé de plus de 20 % par année au cours des deux dernières années, après avoir maintenu une progression annuelle de 5 à 8 % au cours de la décennie précédente.

Un petit rappel ici. Le Québec est le principal producteur de sirop d’érable au monde en assurant 72 % de la production mondiale. L’an dernier, la production mondiale a atteint 182 millions de livres et le Québec à lui seul en a produit 133 millions.

Le hic, c’est que les ventes québécoises ont totalisé à elles seules 180 millions de livres, soit bien plus que la récolte décevante de 133 millions de livres de 2021. Les producteurs québécois ont dû puiser dans leur réserve stratégique de 100 millions de livres pour pouvoir répondre à la demande mondiale.

« La récolte de 2021 a été modeste, 133 millions de livres contre 159 millions en 2020 », observe Serge Beaulieu, président de la Fédération des producteurs et productrices acéricoles du Québec.

PHOTO FOURNIE PAR SERGE BEAULIEU

Serge Beaulieu, président de la Fédération des producteurs et productrices acéricoles du Québec

La récolte dans le Nord-Est américain a aussi été décevante et on a dû leur vendre 20 millions de livres de notre réserve pour compenser leur manque à gagner, en plus de nos exportations habituelles vers les États-Unis.

Serge Beaulieu, président de la Fédération des producteurs et productrices acéricoles du Québec

Les exportations québécoises de sirop d’érable ont totalisé plus de 800 millions de dollars l’an dernier, dont près de 60 % ont pris la route des États-Unis, le reste étant vendu dans plus de 50 pays, principalement en Europe, en Australie et en Asie.

« Il n’y a pas beaucoup de produits bioalimentaires québécois qui ont enregistré des hausses annuelles de 5 à 8 % pendant dix ans et qui ont bondi de 20 % au cours des deux dernières années », souligne Serge Beaulieu, propriétaire avec son frère et leurs fils d’une érablière de 30 000 entailles à Ormstown, en Montérégie.

Les bienfaits de la réserve stratégique

L’explosion de la popularité de l’or ambré (il s’échange à 1500 $ le baril, faut-il préciser) n’est pas sans conséquence. La réserve stratégique mondiale de sirop d’érable québécois, qui était de 100 millions de livres, est passée aujourd’hui à 35 millions de livres.

« On se donne quatre à cinq ans pour rebâtir notre réserve stratégique et c’est pourquoi on a décidé de permettre cette année l’ajout de 7 millions de nouvelles entailles pour augmenter notre production, ce qui devrait générer 25 millions de livres additionnelles.

Plus de la moitié de ces nouvelles entailles vont être assignées à nos 7300 entreprises existantes et le reste va être partagé entre 1300 nouveaux producteurs qui vont démarrer leur propre entreprise.

Serge Beaulieu, président de la Fédération des producteurs et productrices acéricoles du Québec

À la tête de la Fédération des producteurs acéricoles depuis 13 ans, Serge Beaulieu ne se présentera pas pour un nouveau mandat cette année. Actif depuis plus de 30 ans au sein du syndical régional des producteurs, il constate que l’industrie s’est bien outillée pour faire face à la réalité des marchés.

« Au début des années 1980, je vendais mon sirop à 3 $ la livre, puis au début des années 1990, c’est tombé à 85 cents la livre. Depuis qu’on a mis en place la réserve stratégique, il y a 20 ans, on a stabilisé les écarts de prix. Quand on produit trop, on le met dans la réserve et quand la demande est trop forte, on écoule nos surplus », explique-t-il.

Si la COVID-19 a contribué à faire exploser de 20 % la demande sur le marché mondial au cours des années 2020 et 2021, on observe pour les deux premiers mois de 2022 une nouvelle augmentation de 10 %.

Est-ce que l’industrie devrait tirer profit de cette popularité pour valoriser davantage cette ressource unique et prisée d’un nombre grandissant de consommateurs en instaurant notamment des appellations contrôlées, avec un grand cru du Centre-du-Québec ou une cuvée Cabano spéciale ?

Serge Beaulieu explique qu’il n’y a pas de grande distinction de qualité de sirop entre les régions. Lorsqu’il fait bouillir son sirop, il se rend toutefois compte que la qualité atteint un sommet quand il arrive au milieu de la production, au 15jour de la trentaine que dure le processus. Mais le consommateur ordinaire ne verrait pas une grande différence.

« Certaines boutiques au Japon vont le vendre à 100 $ le gallon, mais les consommateurs peuvent trouver le même produit dans le Costco japonais de leur quartier à bien meilleur prix. Nos acheteurs pourraient effectivement chercher à valoriser certaines catégories de produits, mais on veut aussi que notre sirop reste accessible », souligne Serge Beaulieu.

Cela dit, la saison de bouillage se termine ce week-end à l’érablière d’Ormstown de Serge Beaulieu comme dans celles de tout l’ouest du Québec, alors qu’elle débute seulement dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, la plus grande région productrice du Québec. Et le flot est bon.

« L’an dernier, on a recueilli en moyenne 2,5 lb de sirop par entaille, alors que là, on marche plus à 5,3 lb de sirop par entaille. Ça va être une bonne année », anticipe l’acériculteur, ce qui devrait rassurer les grands consommateurs et permettre la reconstitution progressive de la réserve stratégique mondiale.