(Ottawa) Si l’on se fie au budget, le problème économique de l’heure – l’excès d’inflation – disparaîtra dès l’an prochain. Et les taux d’intérêt grimperont somme toute assez peu. Pouf, disparu, l’irritant majeur !

Je sais, les prévisions du budget se basent sur les boules de cristal de 13 grandes institutions, dont font partie la Caisse de dépôt, le Mouvement Desjardins et la Banque Royale. Je ne doute pas de leurs compétences, mais tout de même, les chiffres surprennent.

Le budget prévoit que l’indice des prix à la consommation (IPC) grimpera de seulement 2,4 % en 2023, après une hausse moyenne de 3,9 % cette année. Le taux retomberaient donc rapidement dans la fourchette ciblée par la Banque du Canada, de 1 % à 3 %.

Le contraste est frappant avec les chiffres mensuels récents (5,7 % en février), qui grugent le pouvoir d’achat des consommateurs.

Comment est-ce possible ? Selon le ministère des Finances, les impacts de la pandémie et de la guerre en Ukraine sur les problèmes d’approvisionnement mondiaux s’estomperont au cours des prochains mois. Tout comme les effets de la pénurie de main-d’œuvre ou encore ceux de la conjoncture mondiale sur les prix du pétrole (le baril est à 100 $ US actuellement, mais reculerait à 74 $ US l’an prochain).

Bref, l’inflation est transitoire, selon le budget Freeland.

Si je peux me permettre, le budget de l’an dernier prévoyait exactement le même effet transitoire, qui ne s’est finalement pas confirmé. On voyait l’inflation à 2,2 % en 2021, mais la hausse de l’IPC a plutôt été de 3,4 %, en moyenne. Et pour 2022, on croyait qu’il descendrait à seulement 2 %, mais pour l’instant, nous sommes à 5,7 % (février).

Vu la grande incertitude, le budget a présenté deux scénarios de rechange – optimiste et pessimiste –, mais encore là, le taux d’inflation reste sous les 3 % en 2023 et sous les 2 % l’année suivante. Alléluia !

La conséquence de cette prévision, c’est que l’outil pour juguler l’inflation, soit le taux directeur de la Banque du Canada, grimperait assez peu. La hausse oscillera entre 1,2 et 1,8 point de pourcentage d’ici 2023, selon les scénarios, avant de se stabiliser durant les années suivantes. Le taux phare de la Banque tournerait alors autour de 2,2 %, rien pour écrire à sa mère. Même genre de hausse prévue pour le taux des obligations de 10 ans⁠1.

On verra, puisque la Banque du Canada doit se prononcer sur le sujet mardi prochain, le 13 avril, et plusieurs entrevoient un bond de 0,5 point de pourcentage, ce qui ferait grimper le taux à 1 %. D’autres hausses sont attendues par le marché ces prochains mois.

Quoi qu’il en soit, force est d’admettre que cette conjoncture inflationniste n’a pas nui aux finances fédérales, au contraire. Le déficit de l’année courante (2021-2022) a été de « seulement » 113,8 milliards, bien moins que les 144,5 milliards prévus il y a tout juste 5 mois. Ou que les 328 milliards de 2020-2021.

Ce déficit, il continuera de fondre au cours de la présente année, à 52,8 milliards, et durant l’année suivante, à 39,9 milliards (2023-2024). Il représentera alors 1,4 % du PIB, loin des 15 % du PIB de 2020-2021.

Le gouvernement fédéral profite du fort rebond de l’économie, et notamment de la hausse du prix des matières premières, dont le Canada est un important producteur. Si bien que les revenus d’ici deux ans grimperont de 9 %, pendant que les dépenses reculeront d’autant, avec la fin des injections de fonds pour la COVID-19.

Et même, dans le pire des scénarios de rechange du budget, le déficit ne dépassera pas 44 milliards en 2023-2024. Avec un peu de chance, on sera au seuil du déficit zéro en 2026-2027. Tout un changement en si peu de temps…

Cette embellie financière favorisera notre désendettement national. Notre dette (1161 milliards au 31 mars 2022) équivaut à 46,5 % du PIB et ce niveau reculera progressivement à 41,5 % du PIB en 2026-2027.

En supposant que ces scénarios se réalisent, bien sûr…

Un mot en terminant sur l’effort du gouvernement fédéral pour aider les Autochtones, dans la foulée des évènements honteux des dernières années (sépulture d’enfants dans les pensionnats, filles et femmes disparues, accès limité à l’eau courante, infrastructures et logements déficients, etc.).

Dans le budget, le gouvernement inscrit une dépense de 10,6 milliards de dollars sur 5 ans. Cette somme s’ajoute aux 13 milliards du dernier budget et aux 4,6 milliards du budget précédent. Bref, sur trois budgets, le gouvernement a haussé les dépenses à ce chapitre de 28 milliards répartis sur quelques années, ce qui est énorme.

Pour mieux saisir, il faut voir l’impact annuel de ces injections de fonds. En 2015-2016, quand les libéraux ont pris le pouvoir, le fédéral dépensait 11,5 milliards pour les communautés autochtones cette année-là. La somme a grimpé progressivement, et aujourd’hui, elle atteint 27 milliards pour la seule année 2022-2023.

Bref, les fonds pour les Premières Nations représentent l’équivalent de 6,4 % du budget aujourd’hui, comparativement à 4,4 % en 2015-2016.

Il faut espérer que ces fonds, bien que légitimes, soient judicieusement gérés, et qu’ils ramèneront les Autochtones au niveau de vie de la moyenne canadienne.

1. Les prévisions économiques des institutions financières sur lesquelles se base le ministère des Finances ont été réalisées en février ; or, les Russes ont envahi l’Ukraine le 24 février. Rien n’empêchait le Ministère d’ajuster les prévisions, cela dit, et le budget mentionne d’ailleurs les effets de la guerre.