Nous apprécions tous les vertus des poêles antiadhésives T-fal. L’enfant téflon, lui, me semble moins agréable.

Un livre entièrement consacré à sa personnalité le décrit ainsi : « C’est celui sur qui rien ne colle : ni les punitions, ni la culpabilité, ni les compliments, ni les promesses. C’est l’enfant qui paraît parfois sans-cœur, solitaire, hyperactif, agressif et hautement égoïste. »

Amazon me fait penser à ce gamin.

Rien ne l’atteint vraiment. Pas même les pires révélations concernant ses pratiques d’affaires. Chaque jour, ceux qui enrichissent l’homme le plus nanti du monde continuent d’être plus nombreux.

Cette semaine, on apprenait que les Québécois font tout près de la moitié (48 %) de leurs achats en ligne sur un seul site, celui d’Amazon. Sur des achats en ligne totalisant 16 milliards de dollars, ce sont donc 7,7 milliards qui sont allés dans les poches du géant de Seattle, l’an dernier.

À titre de comparaison, les 500 $ donnés par le gouvernement Legault à presque tous les Québécois totaliseront 3,2 milliards. Ça donne une idée de l’ampleur de nos achats sur Amazon.

Le pouvoir d’attraction d’Amazon est fascinant. Un adulte québécois sur trois est abonné à Amazon Prime, précisait aussi le rapport NETendance de l’Académie de la transformation numérique. Cette formule simple et efficace (livraisons illimitées moyennant 91 $ par année) séduit sans cesse davantage : il y a un an, un adulte québécois sur quatre en bénéficiait.

Forcément, quand on paie pour ce service, on veut en profiter, en avoir pour son argent. Même pour une bébelle qui se vend à trois coins de rue, on développe le réflexe de regarder sur Amazon. Ce n’est pas pour rien que 47 % des cyberacheteurs québécois affirment avoir accru leurs dépenses sur cette plateforme, en 2021.

Vous aurez deviné que les marchands québécois n’ont pas bénéficié d’une telle augmentation. Malgré le Panier bleu, malgré la popularité de l’achat local, malgré les efforts de nos détaillants pour offrir une meilleure expérience en ligne. C’est bien dommage.

Les scandales ne semblent pas davantage écorcher les profits mirobolants du rouleau compresseur Amazon. L’effet téflon, je vous disais.

Pourtant, ce ne sont pas les révélations dévastatrices qui manquent.

Vendredi, un comité de la Chambre des représentants des États-Unis a annoncé une enquête⁠1 sur la manière dont Amazon traite ses travailleurs. En décembre, six sont morts dans un centre de distribution frappé par une tornade après avoir été menacés, semble-t-il, de congédiement s’ils quittaient les lieux.

Les élus américains se sont déjà penchés sur ces pratiques controversées auparavant. Amazon avait osé leur mentir en niant que des employés devaient uriner dans des bouteilles d’eau vides pour ne pas abandonner leur poste. L’entreprise s’était finalement excusée⁠2. Pas très édifiant.

Les manœuvres antisyndicales d’Amazon⁠3 ont aussi fait les manchettes vendredi quand les salariés d’un entrepôt de New York ont voté majoritairement en faveur de la création d’un syndicat. Une première dans l’histoire du détaillant.

PHOTO ANDREA RENAULT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des employés d’un entrepôt d’Amazon de Staten Island, à New York, manifestent au moment où se déroule le vote sur leur syndicalisation.

L’équipe de l’émission Marketplace, à la CBC, a pour sa part révélé l’immense coût environnemental des achats sur Amazon⁠4. On y démontrait que des biens retournés en parfait état peuvent se retrouver au dépotoir, être déchiquetés ou revendus 5000 km plus loin.

Ce n’est pas plus drôle du côté des fournisseurs. À Radio-Canada, Enquête⁠5 a rapporté l’histoire d’une PME de l’Estrie qui a frôlé la faillite quand Amazon lui a joué dans le dos. Et d’une autre dont le produit a été copié par le cyberdétaillant. Est-ce vraiment nécessaire quand on domine déjà ?

Ce reportage nous rappelait aussi que le mastodonte ne paie à peu près pas d’impôt. Comme le répète depuis longtemps Peter Simons, de l’entreprise du même nom, cette iniquité envers les commerces ayant pignon sur rue appauvrit toute la société.

Et que dire du sort terrible des entrepreneurs américains qui livrent les colis d’Amazon. Ils sont payés 10 cents l’unité ! On leur promet des profits de 75 000 $ à 300 000 $ par année, mais certains se retrouvent plutôt ruinés. Sans prévenir et sans raison, Amazon rompt des contrats alors qu’une pile de factures doit être payée : réparation et maintenance des fourgonnettes qu’Amazon leur loue, bureau, stationnement, assurances, a révélé Vice6.

Mais tout cela n’empêche pas les ventes du géant de grimper sans arrêt.

Et personne ne voit le jour où son ascension pourrait s’arrêter, tant la concurrence est loin derrière. Comme il l’a démontré en allant dans l’espace pour le plaisir, Jeff Bezos est loin de craindre les hauteurs. Et Amazon a assez d’imagination pour inventer de nouveaux sommets.

1. Lisez le texte de CNN sur l’enquête des élus américains (en anglais) 2. Lisez l’article « Amazon admet que des employés doivent uriner dans des bouteilles » 3. Lisez « Un premier syndicat créé chez Amazon » 4. Regardez le reportage de Marketplace sur Amazon (en anglais) 5. Regardez le reportage « Derrière le sourire d’Amazon » de l’émission Enquête 6. Lisez le reportage de Vice sur les entreprises de livraison de colis (en anglais)