La première question qui m’est venue à l’esprit, c’est pourquoi le gouvernement tient-il maintenant à faire une rencontre éditoriale sur la filière de la batterie électrique ?

Ce rendez-vous a été sollicité au début de mars par le bureau du ministre Pierre Fitzgibbon. Et lundi, après ajustements des horaires, deux éditorialistes, un chroniqueur et deux reporters ont pu poser leurs questions au ministre ainsi qu’à deux émissaires d’Investissement Québec, soit le PDG Guy LeBlanc et le VP Hubert Bolduc.

Habituellement, ces rencontres ne sont pas des terreaux pour les primeurs. Elles servent plutôt, pour les interlocuteurs – souvent des politiciens –, à expliquer leurs stratégies et les enjeux complexes qui en découlent. Pour les éditorialistes et journalistes, c’est un accès privilégié aux décideurs dans une ambiance moins rigide qu’une conférence de presse.

Pourquoi une rencontre ? Pour Guy LeBlanc, « la raison fondamentale, c’est de faire comprendre en quoi consistent la filière batteries et son impact économique et environnemental en Amérique du Nord. C’est majeur ».

L’argument de vente, c’est l’énergie fiable et bon marché du Québec, notre production beaucoup plus verte qu’ailleurs et la possibilité pour l’Amérique d’être indépendante de la Chine en minéraux et composants pour la batterie.

Pour Pierre Fitzgibbon, la rencontre est l’occasion d’expliquer que cette filière peut permettre au Québec d’atteindre « l’obsession positive de François Legault de réduire l’écart de richesse avec l’Ontario ».

Enfin, pour le relationniste du ministre, le prétexte de la rencontre est l’annonce récente des investissements de GM-Posco et de BASF, à Bécancour.

Pour ma part, j’ai plusieurs hypothèses. D’abord, la rencontre donne l’impression que le gouvernement veut modérer les attentes. Oui, le Québec aura probablement une part du gâteau, et cette filière est fort importante, mais elle sera plus modeste que prévu, selon toute vraisemblance.

Ainsi, il faut oublier LA grande usine de production de batteries pour les véhicules électriques grand public. Selon le ministre, les constructeurs automobiles préfèrent que les batteries soient fabriquées près de leurs lieux d’assemblage, par exemple en Ontario.

Le Québec vise plutôt la fabrication de cathodes et d’anodes, des composants en amont de la fabrication de batteries, ainsi que la transformation de produits miniers du Québec qui nourrissent ces composants (du spodumène vers le lithium, entre autres).

L’annonce de LG Energy Solution et Stellantis, la semaine dernière, en est un bon exemple. Le groupe investira plus de 5 milliards à Windsor, en Ontario, le fief de l’industrie automobile, pour produire des batteries électriques. Il s’agirait du plus important investissement de l’histoire au Canada.

Dans ce contexte, les investissements annoncés au début de mars par l’allemande BASF et le duo GM-Posco Chemical, qui se chiffrent en centaines de millions, paraissent plutôt minces.

D’autres acteurs de l’industrie pourraient les rejoindre dans le parc industriel de Bécancour, stratégiquement situé près d’un port, notamment un groupe japonais que rencontrent MM. LeBlanc et Bolduc vendredi, mais ça ne sera pas de la même ampleur qu’en Ontario, visiblement.

Et après, eh bien, « la chasse est presque terminée », a dit Hubert Bolduc.

Oui, les cathodes et anodes représentent environ la moitié des 10 000 $ que coûte une batterie de 80 kWh dans un véhicule électrique. Et oui, le Québec aurait suffisamment de matières premières, notamment du lithium, pour nourrir annuellement un marché de 20 milliards de dollars de cathodes et d’anodes. Pour en tirer parti, il faudrait toutefois que les engagements de BASF et GM-Posco soient plus importants et que d’autres fabricants de cathodes s’ajoutent.

Difficile, dans ce contexte, de voir que la filière batteries permettra au Québec de rejoindre l’Ontario, avec son investissement monstre.

D’énormes subventions

Autre hypothèse pour expliquer la rencontre : préparer les Québécois aux énormes subventions que s’apprête à verser le gouvernement aux entreprises de l’industrie. Les annonces risquent de venir en pleine campagne électorale et elles ne seront pas sans rappeler les investissements gouvernementaux de 1,3 milliard dans Bombardier ou de 472 millions dans Ciment McInnis.

Bien sûr, le contexte est différent. La filière batteries est promise à un bel avenir, et la concurrence mondiale pour attirer des acteurs majeurs est féroce. Il reste que les risques sont bien réels.

Ailleurs, les investissements de moins de 1 milliard de dollars dans la filière batteries ont exigé une avance de fonds de près de 50 % des gouvernements, souvent en subventions et donc non remboursable. C’est énorme.

Et lorsque l’investissement est plus imposant, par exemple 5 à 6 milliards, les gouvernements doivent s’engager pour 25 % du total, explique Hubert Bolduc.

Autres motifs possibles de la rencontre : s’assurer de l’acceptabilité sociale, notamment des projets miniers près des zones de villégiature, ou encore des agrandissements de lignes électriques d’Hydro-Québec.

Le Québec n’avait pas le choix de livrer bataille. Le secteur est trop important et nos atouts sont bien réels. Mais la partie, presque terminée, est rude et coûtera très cher.

Il reste à espérer que les annonces de GM au Québec et de LG en Ontario sont le signe que le gouvernement américain a vraiment changé d’idée et qu’il ne jouera pas les matamores protectionnistes dans cette industrie d’avenir.