Consulter la population pour préparer un budget est tout à fait sain. Qui peut se plaindre d’un gouvernement qui tâte le pouls des citoyens avant de dépenser ?

Mais il y a un mais. En connaissant les doléances des divers groupes, le gouvernement ne risque-t-il pas de vouloir les satisfaire par électoralisme ? Ne risque-t-il pas de chercher à verser quelques millions à certains groupes de pression pour obtenir les votes de leurs membres ?

La question est d’autant plus pertinente que 2022 est une année électorale au Québec. Les électeurs sont conviés aux urnes le 3 octobre.

Contrairement à ses prédécesseurs, l’actuel ministre des Finances, Eric Girard, rend publiques les requêtes des divers groupes, appelées « mémoires ». C’est tout à son honneur, puisqu’une telle pratique n’est pas courante dans les autres grandes provinces.

L’exercice nous renseigne sur l’avalanche de demandes faites au gouvernement. Cette année, 317 mémoires ont été déposés sur le site du ministère des Finances, trois fois plus que lorsque le ministre a décidé de les rendre publics, il y a quatre ans. La progression est constante.

Et selon un interlocuteur bien au fait du processus, la publication des demandes pourrait avoir incité certains organismes à allonger leur liste, par crainte que leurs membres ne la jugent trop restreinte.

Les demandeurs sont hétéroclites. On retrouve côte à côte le cigarettier Rothmans Benson & Hedges et l’Association pulmonaire du Québec. Ou encore la Fédération des producteurs forestiers et Conservation de la nature Québec. Tout comme le Barreau du Québec et le Centre justice et foi…

Une trentaine d’associations figurent parmi les demandeurs, notamment l’Association du camionnage, l’Association des éditeurs de livres, l’Association des brasseurs, l’Association des compagnies d’assurances, l’Association des fabricants de meubles, l’Association Restauration Québec, l’Association du médicament générique, l’Association de la construction, l’Association des technologies, l’Association des procureurs et même l’Association des chemins de fer1.

Les organismes de défense des femmes sont probablement les plus nombreux. Je dénombre 27 « mémoires » au total, venant notamment de divers centres de femmes, comme ceux de Laval, de Longueuil, de Verdun, de Forestville, de la vallée de la Matapédia, de La Mitis… On trouve aussi Entre-Femmes de Rouyn-Noranda et Afrique au féminin.

En y regardant de plus près, on se rend compte que leurs requêtes ne sont pas directement liées au sort des femmes. Leurs demandes, en concertation avec d’autres groupes non genrés, sont exactement les mêmes, soit l’imposition du patrimoine du 1 % le plus riche, qui permettrait, selon eux, de redistribuer 4 milliards de dollars. Leurs lettres sont un résumé du mémoire de la Coalition Main rouge, un groupe de gauche appuyé notamment par la CSN.

Les très nombreux mémoires de syndicats, par ailleurs, insistent pour que le gouvernement renforce les programmes sociaux et évite l’austérité. Le Conseil du patronat du Québec, de son côté, demande d’augmenter la richesse et la productivité, ce qui est présenté comme une solution pour contrer la pénurie de main-d’œuvre.

Sur la liste, on trouve aussi de grandes entreprises, comme le câblodistributeur Cogeco, la pharmaceutique Merck Canada, la minière Agnico Eagle, Promutuel Assurance et le Festival international de jazz de Montréal (détenu par le Groupe CH), entre autres.

Parmi les demandeurs figurent également huit villes, dont les plus grandes (Montréal, Québec, Laval, Longueuil, Gatineau, Lévis). Il y a aussi bien sûr les universités, les cégeps et les groupes environnementaux.

Bref, il y en a pour tous les goûts.

Ce qui me ramène à ma question de départ : le processus ne risque-t-il pas de favoriser le clientélisme, le saupoudrage de fonds pour cristalliser des votes ?

En économie, ce saupoudrage peut être expliqué par ce qu’on appelle le marché politique. En principe, les politiciens sont bien intentionnés, mais en pratique, ils pourraient avoir intérêt à prendre des décisions électoralement payantes, dont les bénéfices sont concentrés (sur certains groupes), mais les coûts diffus (venant de l’ensemble de la population).

Un exemple ? Les 10 000 membres d’un groupe seront heureux d’une subvention de 20 millions, qui leur rapporterait chacun l’équivalent de 2000 $. Quel bon parti politique !

De l’autre côté, les 6,8 millions de contribuables ne s’en plaindront pas, puisque la mesure ne leur coûtera que 3 $ par personne, en moyenne. Bénéfices concentrés, coûts diffus. En multipliant ce genre de décisions, un parti peut consolider son vote, avec peu de conséquences politiques.

Cela dit, les décideurs ont bien entendu de sincères motivations. Et bien des organismes ont des mémoires qui visent bien plus large que leurs seuls membres.

Cette année, parmi les 317 mémoires, il y a deux grands groupes fortement touchés par la pandémie qui lèvent la main, soit les milieux communautaire et culturel.

Le milieu culturel demande notamment un assouplissement des règles fiscales pour inciter les mécènes à faire des dons. Quant aux organismes communautaires, ils déplorent leur grand manque de financement et ses effets sur le recrutement de personnel, en cette période de pénurie de main-d’œuvre sévère.

L’action de certains organismes communautaires est critique et remédie souvent aux défaillances de l’État. N’est-il pas essentiel d’en tenir compte dans la distribution des fonds ?

1. Les noms des associations ont été abrégés. Pour connaître les noms exacts, consultez le site du ministère des Finances.

Consultez la page des consultations prébudgétaires sur le site du ministère des Finances