Saviez-vous que vos placements contribuent autant au réchauffement climatique qu’un VUS ? Et que, par conséquent, vos décisions de placements ont un impact majeur pour notre planète ?

Cette question me turlupine depuis ma chronique du 30 décembre, où j’expliquais que ce sont les riches qui réchauffent la planète, et encore, des riches qui gagnent seulement 92 000 $ par année au Québec. Et que ce sont leurs placements, entre autres, qui font la différence.

Pourquoi donc ? Parce que ces placements en Bourse, dans des fonds communs ou autres, permettent aux entreprises de produire, de créer des emplois, mais aussi de polluer. Ultimement, les gaz à effet de serre (GES) émis par ces entreprises sont imputés aux actionnaires que sont les investisseurs. Nous tous.

Lisez la chronique « Un budget carbone pour discipliner les riches »

J’ai donc fait le tour de certaines firmes de placements pour connaître l’empreinte carbone de leurs fonds, que j’ai comparée aux émissions d’un VUS. Les comparaisons ne sont pas parfaites, mais elles permettent d’avoir un bon aperçu.

Alors, combien de GES émet chaque année un portefeuille de 100 000 $, par exemple ?

D’abord, la référence : un VUS émet autour de 4 tonnes de GES par année lorsqu’il parcourt 20 000 km. Je parle d’un Toyota RAV4 ou d’un Nissan Rogue, par exemple. Avec un VUS Mercedes, on approche les 5 tonnes. Et pour le plus gros camion Ford F-150, c’est 7,1 tonnes.

Et vos placements ? Au Fonds FTQ, par exemple, c’est entre 3,9 et 4,4 tonnes par tranche de 100 000 $ investis, autant qu’un VUS. Et encore, le Fonds FTQ est à l’avant-garde pour les normes environnementales. L’empreinte carbone de ses portefeuilles a d’ailleurs baissé de plus de 25 % entre 2020 et 2021.

En comparaison, les entreprises de l’indice canadien S&P TSX avaient une empreinte carbone de 7,3 tonnes par tranche de 100 000 $ pour la même période, soit autant qu’un Ford F-150, et donc bien davantage qu’au Fonds FTQ (dont les entreprises québécoises sont nourries à l’hydroélectricité).

Desjardins, Caisse de dépôt…

J’ai insisté auprès du Mouvement Desjardins, de la Banque Nationale et de Fiera Capital pour avoir l’empreinte carbone des fonds proposés aux clients, mais les deux premières organisations ont refusé. Elles affirment être en train de raffiner leurs méthodes et promettent d’offrir des indicateurs de haute qualité « au cours de la prochaine année ». On verra.

J’ai tout de même pu faire estimer, à l’externe, l’empreinte carbone d’un des fonds Desjardins de la famille la plus prisée des environnementalistes : SociéTerre. Or, au 30 septembre 2021, le fonds SociéTerre actions canadiennes avait un niveau de GES d’environ 4,1 tonnes par 100 000 $, selon nos calculs, autant qu’un VUS.

Desjardins n’a pas voulu valider notre estimation. La porte-parole, Chantal Corbeil, affirme cependant que les fonds SociéTerre actions américaines ou diversité, par exemple, ont une empreinte deux fois moindre qu’actions canadiennes, selon les calculs initiaux de son organisation.

« La portée géographique des mandats de ces fonds a une influence notable sur cet indicateur », affirme la porte-parole Chantal Corbeil.

La Caisse de dépôt et placement du Québec et le Régime de retraite des enseignants de l’Ontario (Teachers) publient leur empreinte carbone dans leurs rapports d’investissement durable depuis deux ou trois ans.

Au 31 décembre 2020, la Caisse était à 4,9 tonnes par tranche de 100 000 $ et Teachers, à 4,2 tonnes. Ces deux fonds gèrent l’argent des enseignants pour leur retraite, entre autres. La Caisse est aussi responsable des fonds de retraite des fonctionnaires du gouvernement du Québec, parmi d’autres.

C’est donc dire que même les gens de classe moyenne, comme certains employés de l’État qui font 65 000 $ par année, doivent s’interroger sur l’empreinte carbone des fonds dont ils sont bénéficiaires. La Caisse, soulignons-le, s’est donné comme objectif de réduire cette empreinte à 3,2 tonnes par tranche de 100 000 $ en 2030.

Horrible PSP

Le pire du lot, et de loin, est Investissements PSP (fonds de retraite de fonctionnaires fédéraux). Son empreinte au 31 mars 2021 était de 10,1 tonnes par tranche de 100 000 $, l’équivalent de deux gros VUS !

PSP ne m’a pas fourni d’explications cohérentes pour justifier un tel niveau d’émissions. Mais mardi le 16 février, au comité fédéral des comptes publics, le PDG de PSP, Neil Cunningham, a répondu à une question du Bloc québécois sur l’environnement.

Nous n’avons pas de programmes de désinvestissement [de titres pétroliers] pour notre portefeuille. Nous pouvons désinvestir, mais ça ne change rien pour retirer le carbone de l’environnement. Quelqu’un d’autre continuera à acheter [les titres boursiers].

Neil Cunningham, PDG de PSP

« Alors nous allons investir pour aider les entreprises à migrer vers des façons de faire plus vertes. On ne parle pas du pétrole seulement, mais d’autres industries où des capitaux sont nécessaires pour faire cette transition », a-t-il dit.

Fondaction CSN et Fiera se démarquent

Parmi les gestionnaires analysés, certains se démarquent nettement, comme Fondaction CSN.

Chaque tranche de 100 000 $ investis par Fondaction CSN a produit 2,3 tonnes de GES au cours de l’année terminée le 31 mai 2021. C’est environ la moitié des autres fonds mentionnés, mais aussi trois fois moins que l’indice de référence S&P/TSX auquel Fondaction se compare (7,3 tonnes par tranche de 100 000 $).

Traduit en langage de « char », Fondaction CSN, c’est l’équivalent d’une Toyota Corolla pour les émissions (2,1 tonnes sur 20 000 km).

« Chez Fondaction, notre objectif est de donner du sens à l’argent et d’investir de façon durable », explique le vice-président, engagement sociétal, Daniel Charron. Son travail est notamment appuyé par le conseiller Gabriel Brice, expert dans l’évaluation GES des portefeuilles.

L’autre firme qui sort du lot, étonnamment, c’est Fiera Capital. Ce gestionnaire n’a rien d’un fonds public ou syndical. L’organisation consacre toutes ses ressources à maximiser les rendements pour ses clients, dans la plus pure tradition du capitalisme.

Or, Fiera apparaît être la plus verte des firmes comparées, selon les données recueillies. Au 31 décembre 2021, son équipe d’actions canadiennes avait un portefeuille d’entreprises qui produisait l’équivalent de 1,7 tonne de GES par tranche de 100 000 $, loin derrière l’indice S&P TSX comparable pour la même date (8,1 tonnes).

Pour les actions mondiales (StonePine), c’est encore plus bas, à 0,6 tonne, 7 fois moins qu’un VUS ! Impressionnant, non ?1

Son secret ?

Depuis de nombreuses années, les équipes de Fiera sous-pondèrent les actions pétrolières dans leurs portefeuilles. Pourquoi ? Parce qu’elles jugent que ces entreprises sont dépendantes des prix de la denrée, et qu’elles n’ont pas une bonne gouvernance.

Bref, les équipes de placements, dont la stratégie est de miser sur des titres de qualité, ont naturellement allégé leurs portefeuilles des entreprises pétrolières, m’explique le chef de l’investissement responsable, Vincent Beaulieu.

Malheureusement, les fonds gérés par Fiera ne sont pas aisément accessibles aux particuliers. Fiera gère surtout l’argent de fonds institutionnels (régimes de retraite d’entreprises) ou de clients fortunés. Et ces clients, faut-il dire, peuvent avoir des demandes spécifiques qui viennent augmenter l’empreinte carbone.

Il reste encore du chemin à faire pour bien mesurer les GES des entreprises et des firmes de placements. Que faire avec certaines entreprises technos comme Apple, par exemple, qui sous-traite la fabrication de ses téléphones exclusifs, avec les GES qui y sont associés ?2

Tout de même, les investisseurs peuvent réellement faire une différence et, par leurs choix, forcer les fonds communs et les entreprises à être plus vertes afin de ne pas perdre accès à de précieux capitaux. Vos capitaux.

1. Notez que Fiera utilise les données de la firme MSCI (ESG) pour calculer les empreintes carbone de ses portefeuilles. Ces données entraînent des résultats environ de 10 à 15 % plus bas, ce qui, par exemple, ferait passer les données de Fiera actions canadiennes de 1,7 tonne par tranche de 100 000 $ à jusqu’à environ 2,0 tonnes, possiblement.

2. Ces questions sont d’autant plus urgentes que les Canadiens investissent massivement dans les fonds ESG sans savoir jusqu’à quel point les firmes des fonds achetés sont vraiment soucieuses des questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Fin mars 2021, la valeur des fonds durables canadiens s’élevait à 18 milliards, soit une hausse de 160 % sur un an. Le sujet est une préoccupation des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), qui craignent « l’écoblanchiment ».

Consultez l’avis des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM)