Les gouvernements sont généralement bien intentionnés lorsqu’ils soutiennent financièrement des groupes de citoyens. Dans certains cas, toutefois, des programmes ont des effets néfastes, qui peuvent nuire aux bénéficiaires.

C’est visiblement le cas du programme destiné à subventionner les ménages démunis pour se loger (programme Supplément au loyer ou PSL), de la Société d’habitation du Québec (SHQ).

Les règles d’attribution de la subvention PSL font en sorte qu’elles pénalisent les ménages bénéficiaires qui augmentent leurs revenus. Dit autrement, elles découragent le travail, à moins qu’il soit fait au noir.

Les règles créent ce qu’on appelle une « trappe de la pauvreté », qui tend à maintenir les bénéficiaires moins nantis dans leur situation, plutôt que de les en sortir.

Ce genre de trappe était vécu par les bénéficiaires de l’aide sociale il y a quelques années, avant que les gouvernements provincial et fédéral ne viennent corriger la situation, en partie, avec la prime au travail et l’Allocation canadienne pour travailleurs (ACT).

Le phénomène continue d’exister pour certains travailleurs à faibles revenus, avec un taux d’imposition des revenus additionnels atteignant 65 %, par exemple, mais c’est une autre histoire1.

Comment se présente la trappe avec les subventions au logement ? Eh bien, voilà. La subvention PSL est versée aux ménages qui ne gagnent pas plus d’un certain niveau de revenus. Elle leur permet de ne pas payer plus de 25 % de leurs revenus totaux en loyer.

Le hic, c’est que la subvention diminue lorsque le niveau de revenus des ménages augmente. Et elle disparaît totalement lorsque le revenu dépasse le seuil régional établi par la SHQ, avec ses conséquences nocives.

Le seuil de revenu utilisé s’appelle le Plafond de revenu déterminant les besoins impérieux (PRBI). À Montréal, ce PRBI est de 32 500 $ pour un couple ou de 43 500 $ pour une famille de 4 ou 5 personnes. Ce PRBI est semblable à Gatineau (32 000 $ et 44 000 $), mais plus bas à Québec (31 000 $ et 42 000 $)2.

Le calcul de la subvention est fort complexe, mais essentiellement, dès que le revenu d’un couple dépasse 32 500 $ à Montréal, la subvention disparaît, d’après ce qu’il est possible de comprendre.

« Ça n’a pas de bon sens. Et ça incite au travail au noir, je l’entends tous les jours », me dit Bernard Campeau, directeur général des Habitations des rivières de l’Outaouais, OBNL qui compte des centaines de logements à Gatineau.

Il donne l’exemple des artistes, dont les revenus sont irréguliers. Un contrat qui s’ajoute dans une année peut leur faire perdre la subvention au logement. Même chose pour les retraités qui ont de petites rentes : des revenus de travail additionnels de 5000 $ peuvent réduire considérablement, voire effacer la subvention PSL.

Impact de 300 $ par mois

À Montréal, une coop d’habitations de 30 logements vit justement cette situation actuellement. Sur les 15 ménages qui touchent une subvention PSL, 3 viennent de se faire dire qu’ils perdent leur subvention et 1, qu’elle est réduite de beaucoup.

« J’ai des locataires qui pleurent au téléphone en apprenant la nouvelle », m’explique la présidente du C.A. de la coop, qui me demande de garder l’anonymat, car elle n’a pas eu l’autorisation de son C.A. de parler publiquement.

Dans un cas, l’impact est de 300 $ par mois. Comme la perte de la subvention s’applique rétroactivement, le locataire a 1200 $ de paiements en retard (4 mois depuis novembre), en plus d’un loyer mensuel augmenté de 300 $.

« Même si la coop fait des ententes de paiement, les montants sont énormes. Et je me transforme en travailleuse sociale avec des locataires parfois peu francophones, paniquées », explique mon interlocutrice.

Selon elle, l’aide fédérale pour la COVID-19 (PCU et PCRE) a pu faire augmenter les revenus des locataires visés, ce qui leur aurait fait perdre leur subvention PSL.

En vertu des règles de la SHQ, cette coop doit avoir un minimum de 15 logements consacrés à des subventions PSL (50 % des 30 logements), mais cette année, la coop en aura seulement 12 en raison de la situation.

Les 3 subventions PSL non allouées seront en suspens, puisque les locataires visés ont droit au maintien dans leur logement. Ils pourraient être réalloués à des locataires démunis qui figurent sur une longue liste d’attente, mais il faut d’abord que des logements se libèrent, ce qui peut prendre du temps étant donné la pénurie.

Ces 3 PSL s’ajoutent donc à la liste des 7000 subventions PSL qui, pour diverses raisons, sont inutilisées au Québec, comme je l’expliquais dans une récente chronique. Quelque 3000 de ces PSL sont dans des immeubles AccèsLogis, comme celui de la coop.

Lisez la chronique « L’équivalent de 7000 HLM inutilisés au Québec »

À Gatineau, Bernard Campeau parvient à maintenir la part de 50 % de logements subventionnés PSL sur les 351 logements des Habitations des rivières de l’Outaouais qui y sont admissibles.

Le directeur général déplore ne pouvoir augmenter sa part de logements PSL, chose qu’il demande souvent, sans succès. Dans le Gatineau urbain, il y a 2812 ménages sur la liste d’attente, qui est mise à jour annuellement.

Le gestionnaire craint par ailleurs que l’explosion des prix dans l’immobilier ne rende très problématique l’abordabilité, même pour des projets financés par le gouvernement qui sont non admissibles au PSL. Pour obtenir du financement public, les projets ne doivent pas facturer aux locataires plus de 94 % du loyer médian du secteur. Or, ce loyer médian a fortement grimpé ces derniers temps…

1. Avec cette note, consultez ces trois liens :

Lisez le chronique « La trappe des pauvres » Lisez aussi le rapport Qu’en est-il de l’incitation au travail au Québec ? Consultez ce document de la chaire en fiscalité et en finances publiques

2. Depuis 5 ans, les PRBI ont augmenté de 12 à 16 %, environ.