Ce que la fuite du rapport a provoqué ? Des tensions, bien sûr, notamment une bataille de données inusitées sur l’achalandage futur du REM de l’Est. Mais aussi, peut-être, une certaine volonté de rapprochement entre les parties.

Vendredi, la Caisse de dépôt et placement a fait le tour des médias pour calmer les appréhensions et présenter ses propres chiffres d’achalandage, beaucoup plus favorables au projet. Des chiffres inusités, pour la plupart.

Dans le rapport dévoilé dans La Presse, l’Autorité métropolitaine de transport métropolitain (ARTM) soutient que le REM de l’Est attirerait peu de nouveaux usagers. Selon elle, seulement 2100 automobilistes délaisseraient leur voiture lors de la pointe du matin, soit 6 % du total des usagers. L’essentiel de l’achalandage (94 %) se ferait en cannibalisant le réseau actuel (ligne verte et ligne de Mascouche).

Or, la Caisse arrive à un tout autre résultat, avec ce qu’elle affirme être une méthode d’évaluation plus raffinée. Selon son expert, ce sont plutôt 7850 automobilistes qui opteraient pour le REM de l’Est lors de la pointe du matin, presque quatre fois plus.

Ces nouveaux passagers représenteraient non pas 6 % du total, comme le pense l’ARTM, mais 17 %. Ce chiffre de 17 % peut sembler encore petit, mais l’expert de la Caisse le juge très élevé, comparé à ceux d’autres projets du même type, souvent de moins de 15 %, comme l’explique mon collègue Maxime Bergeron (voir écran précédent).

Et au bout du compte, ce sont 178 000 personnes qui monteraient à bord quotidiennement une fois le projet à maturité, en 2046, données qui ne tiennent pas encore compte de l’impact de la COVID-19 sur le télétravail. La pandémie, selon la Caisse, pourrait faire baisser l’achalandage, mais aussi déplacer des passagers hors de la pointe, ce qui est souhaitable.

Qui dit vrai ? Il faudra voir. Chose certaine, les diverses parties auraient intérêt à être beaucoup plus transparentes et à collaborer si elles souhaitent le mieux pour le transport collectif de la région.

Vendredi, par exemple, il a été permis d’apprendre que la mairesse Valérie Plante n’avait pas été mise au courant de ces nouveaux chiffres de la Caisse avant que les médias n’en prennent connaissance. Les données ne sont pas encore officielles, faut-il dire, et elles pourraient varier passablement selon l’évolution du projet.

« Nous avons souhaité rapidement aller dans l’espace public pour discuter des données publiées par l’ARTM, considérant que ce sont des constats lourds qui ont un impact majeur sur la perception du projet », explique le porte-parole de CDPQ Infra, Jean-Vincent Lacroix.

Et mercredi, ai-je pu apprendre, les 15 membres du conseil d’administration de l’ARTM voyaient les conclusions du rapport de leur organisation pour la première fois, soit après la fuite dans La Presse, exception faite du président du conseil, Pierre Shedleur. C’était le cas de Valérie Plante, de Catherine Fournier (mairesse de Longueuil) et de Stéphane Boyer (maire de Laval), entre autres.

Quoi qu’il en soit, les membres du C.A. de l’ARTM ont convenu, lors de cette réunion, de la nécessité de rétablir les ponts avec la Caisse de dépôt. Tous reconnaissent qu’il faut un mode de transport structurant pour ce secteur de l’île. Néanmoins, ils se demandent comment tirer enseignement du rapport de leur organisme, et souhaitent que la Caisse et l’ARTM partagent mieux leur savoir-faire pour bonifier le projet.

Il reste l’aspect financier, qui demeure un mystère, et que la Caisse précisera lorsque tous les paramètres du projet auront été précisés (trajet, aménagement physique, achalandage, etc.). Le rapport de l’ARTM estime la facture annuelle à au moins 260 millions, dont 98 millions seraient réclamés aux municipalités.

Les membres du conseil constatent qu’il s’agit de prévisions de coûts très prudentes, basées sur les paramètres du REM de l’Ouest (72 cents par passager-kilomètre). Malgré tout, ils jugent une telle facture trop lourde.

Pour rentabiliser l’opération, rappelons-le, la Caisse se base sur le nombre d’usagers, mais aussi sur la distance qu’ils parcourent, comme l’exprime le tarif par passager-kilomètre. Un passager-kilomètre traduit le parcours d’un passager sur un kilomètre.

Or, bien que le nombre de passagers des deux réseaux finirait par être semblable, selon les nouvelles données avancées vendredi par la Caisse (178 000 pour l’Est et 174 000 pour l’autre), le nombre de kilomètres parcourus par ceux du REM de l’Est sera vraisemblablement bien moindre.

Le REM de l’Est proposé est deux fois moins long que l’autre (67 km contre 32 km), tout en étant plus coûteux (10 milliards contre environ 7 milliards).

Bref, les parties devront éponger une facture annuelle plus lourde, qu’il s’agisse des municipalités, de la Caisse ou, plus probablement, du gouvernement du Québec. Et on n’a pas encore parlé des aménagements pour rendre les structures aériennes acceptables…

À n’en pas douter, il faudra trouver des solutions originales et bien aiguiser ses crayons. Ne soyons pas si pressés, de grâce.