Desjardins cessera « à regret » d’offrir l’assurance maladie et dentaire aux 300 000 étudiants qui fréquentent des cégeps et universités du Québec. L’Autorité des marchés financiers (AMF) exige désormais que l’adhésion à ce régime collectif ne soit plus automatique par l’entremise de facture scolaire, ce que la coopérative juge impossible à satisfaire. De leur côté, les associations étudiantes fulminent et promettent de se battre sur tous les fronts contre cette « ingérence » dans leurs affaires.

Certains étudiants ne le savent peut-être pas, mais ils paient chaque session une certaine somme pour avoir accès à un régime d’assurances qui couvre la santé, les soins dentaires et de la vue, ainsi que les voyages, dans certains cas.

Ceux qui n’en ont pas besoin peuvent soumettre une demande de retrait sur le site web de l’Alliance pour la santé étudiante au Québec (ASEQ) 1. La fenêtre pour ce faire est assez courte, environ un mois, et les personnes couvertes par l’assurance à la session d’automne ne peuvent s’en retirer à la session d’hiver.

Le système fonctionne ainsi depuis un quart de siècle.

Le système en chiffres

Associations étudiantes offrant une assurance collective : 57

Étudiants admissibles aux assurances : 292 000

Étudiants s’étant retirés : 85 000

Étudiants assurés : 207 000

Conjoints et enfants assurés : 3200

Réclamations payées : 35 millions de dollars (dont 5 millions en santé mentale)

Source : ASEQ, année scolaire 2020-2021

Au fil des ans, l’adhésion par défaut a suscité des plaintes et des critiques, notamment d’étudiants déjà couverts par les assurances de leurs parents. C’est vrai qu’à première vue, l’idée d’assurer des personnes sans leur demander leur avis est discutable. En plus, on peut avoir l’impression – malgré les 85 000 retraits – que le système complique intentionnellement la vie des étudiants qui ne veulent pas s’assurer en les forçant à se rendre sur le site de l’ASEQ, dans des délais assez réduits.

Pour l’AMF, c’est clair comme de l’eau de roche : tout cela n’est pas « équitable ». Et « le temps était venu de faire appliquer la Loi sur les assureurs » après « des années de discussions » et de recherche de compromis qui n’ont abouti à rien d’acceptable, selon elle.

Exigences impossibles à satisfaire

C’est dans ce contexte que Desjardins – qui détient environ 95 % du marché de l’assurance collective étudiante au Québec – a récemment reçu une lettre de l’AMF, ai-je appris. Le chien de garde des marchés financiers y sommait la coopérative de modifier le mode de perception de la prime afin que l’adhésion soit « volontaire » et que l’étudiant consente à payer la prime « de façon éclairée ».

En l’absence de changements, une « sanction administrative » de 10 000 $ par jour pourrait lui être imposée, prévenait l’AMF.

Devant ces exigences « impossibles à satisfaire », Desjardins a décidé de ne pas renouveler les contrats conclus avec 57 associations étudiantes. Ces contrats resteront toutefois en vigueur jusqu’en août.

« En passant d’un régime collectif d’adhésion automatique avec droit de retrait à un régime d’adhésion individuelle, les coûts pour les étudiants seront en augmentation constante », a justifié le porte-parole de Desjardins, Jean-Benoît Turcotti. Autrement dit, le régime ne serait plus rentable, à moins d’en faire bondir le prix pour les étudiants de façon significative.

C’est le principe même de l’assurance collective : les risques sont répartis sur un vaste groupe. Ainsi, tout le monde bénéficie d’un tarif avantageux grâce à ceux qui ne font jamais de réclamations. À partir du moment où l’assurance devient individuelle et facultative, seuls ceux qui prévoient s’acheter de nouvelles lunettes et faire réparer leurs caries y souscrivent, ce qui fait exploser le coût des primes.

À l’ASEQ, on a peu d’espoir de trouver un assureur pour prendre le relais. « Si Desjardins, qui a les reins solides, juge que ce n’est pas viable, il n’y a pas un autre joueur qui va vouloir l’offrir », dit son porte-parole Marc-André Ross.

Certes, ce n’est pas idéal que des étudiants paient une assurance parfois inutile, parfois sans le savoir. Mais le mieux est l’ennemi du bien, dit l’adage. Cette adhésion automatique a-t-elle nui à un grand nombre de personnes, et dans quelle mesure ? En protégeant ce groupe, risque-t-on de pénaliser un bassin d’étudiants encore plus grand qui compte sur cette assurance à prix modique ?

Coût annuel des assurances pour les étudiants


Cégep du Vieux Montréal : 40 $
Collège Ahuntsic : 103 $
Cégep de Chicoutimi : 146 $
Université Laval : 379 $
Université de Sherbrooke : 399 $
UQAM (AFFESH) : 426 $

Source : sites web des cégeps et universités

L’AMF n’a pas voulu me dire combien de plaintes elle avait reçu à ce sujet au fil des ans, jugeant que cette information était peu pertinente. Selon l’ASEQ, c’est environ « 10 à 15 par année », alors qu’il y a 300 000 étudiants au Québec. Devant un tel ratio, la décision de changer un système qui fonctionne depuis 25 ans lui paraît « incompréhensible ».

Mécontentement des étudiants

Les associations étudiantes sont stupéfaites et inquiètes. Elles l’ont écrit au président de l’AMF, Louis Morisset. « Votre nouvelle attaque sur nos droits démontre un acharnement que nous avons du mal à nous expliquer », affirment-elles.

« Cessez de vous ingérer dans nos processus internes. Nos associations ont des droits et nous entendons les défendre. […] Nous allons rencontrer les membres du gouvernement, de l’Assemblée nationale, de la fonction publique, de la société civile et tout autre acteur que nous jugerons pertinent. L’AMF doit reculer sur ces directives ou le gouvernement doit légiférer pour mettre un terme à cette ingérence. »

À la Confédération des associations d’étudiants et étudiantes de l’Université Laval (CADEUL), on trouve « complètement inacceptable » que des milliers d’étudiants puissent se retrouver sans assurances en septembre prochain. « C’est très utilisé. Ça répond à leurs besoins. Les psychologues, les antidépresseurs et la contraception, c’est ce qui est le plus réclamé. L’assurance est utilisée à 110 % présentement. On rembourse plus que ce qui est cotisé par nos membres », précise la présidente Cyndelle Gagnon.

Pour les 57 associations, le moment est particulièrement mal choisi par l’AMF pour sévir puisque la pandémie a exacerbé les problèmes de santé mentale. Elles précisent que les réclamations se sont élevées à 5 millions de dollars en 2020-2021. « Qu’adviendrait-il si ce filet venait à disparaître en raison de votre excès de zèle ? »

Dix ans après le printemps érable, les étudiants semblent décidés à entreprendre une nouvelle lutte.

1 – L’ASEQ est « le fournisseur principal des régimes étudiants de soins de santé et dentaires au Canada », selon son site web. Fondée en 1996, cette entreprise à but lucratif offre à un million d’étudiants au pays une panoplie de services, dont une ligne téléphonique d’aide en santé mentale, un programme de protection juridique et un service de télémédecine.