La création en Estrie des deux premières zones d’innovation au Québec, annoncée jeudi par le premier ministre Legault et son ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon, est certes fort positive, mais elle apparaît aussi passablement opportuniste puisque des zones d’innovation, il en existait déjà plusieurs au Québec.

Opportuniste aussi parce que le gouvernement a profité d’un investissement important du géant IBM à Bromont pour procéder à l’association de l’Université de Sherbrooke à des entreprises existantes avec lesquelles elle collaborait déjà.

On a vu jeudi qu’on était bien en année électorale. À peu près tout ce qui existe comme députés de la CAQ en Estrie était présent, soit à Sherbrooke, soit à Bromont, pour participer à l’annonce de la création de deux zones d’innovation, l’une en sciences quantiques à Sherbrooke et l’autre en systèmes électroniques intelligents à Bromont.

Pour le premier ministre Legault, c’était la réalisation d’un rêve qu’il caresse depuis 10 ans, soit celui de reproduire au Québec le modèle des centres d’excellence prestigieux comme ceux de la Silicon Valley ou de la route 122 à Boston aux États-Unis. Des zones d’innovation où les entreprises peuvent profiter d’une belle synergie entre recherches fondamentale et appliquée.

L’Université de Sherbrooke a développé depuis maintenant 40 ans une expertise reconnue dans le domaine de la physique quantique et les équipes de son principal chercheur Alexandre Blais pourront profiter de l’implantation prochaine d’un ordinateur quantique que réalisera la multinationale IBM à son usine de semi-conducteurs de Bromont.

Ce qui n’est pas rien. Bromont accueillera ainsi le premier ordinateur quantique d’IBM au Canada, appareil hautement sophistiqué qui a été installé dans seulement quatre autres pays dans le monde, soit au Japon, en Corée du Sud, en Allemagne et aux États-Unis.

Cet investissement de 130 millions, financé à plus de la moitié par Québec, permettra aux entreprises québécoises du secteur de l’intelligence artificielle, des sciences de la santé et de l’énergie de faire des avancées technologiques importantes, espère-t-on.

Québec évalue que les entreprises de technologie de la région, dont le Centre de collaboration MiQro Innovation C2MI, vont investir plus de 530 millions au cours des cinq prochaines années en projets de recherche et développement. Pour sa part, le gouvernement entend injecter 160 millions pour les soutenir.

On a présenté cette nouvelle initiative autour de l’Accélérateur de découvertes Québec-IBM comme la création des deux premières zones d’innovation au Québec. Le ministre Pierre Fitzgibbon a dit souhaiter jeudi faire d’ici le mois de juin l’annonce de deux autres nouvelles zones d’innovation qui auront, elles aussi, des mandats industriels spécifiques, on s’en doute bien.

Et les grappes ?

On ne peut pas être contre l’articulation d’une stratégie sectorielle et la mise en place d’une collaboration plus assumée entre la recherche fondamentale et la commercialisation de celle-ci.

Mais l’aspect opportuniste de l’annonce de jeudi est de présenter cette nouvelle initiative technologique en Estrie comme une première québécoise. Comme si on assistait à l’avènement de la première zone d’innovation au Québec.

Qu’est-ce qu’on fait des grappes industrielles qui ont poussé au cours des dernières décennies et qui ont propulsé la région métropolitaine de Montréal comme un centre d’excellence mondial en aéronautique, en jeux vidéo, en effets visuels et animation, en sciences de la vie et technologies de la santé ?

Qu’est-ce qu’on fait de l’Institut national de l’optique de Québec, créé par l’Université Laval, qui a permis la création de leaders mondiaux comme Exfo, Eddyfi Technologies et prochainement LeddarTech, toutes des entreprises qui sont encore enracinées à Québec dans un champs d’activités très pointu ?

Le premier ministre François Legault disait se réjouir jeudi de constater qu’il était possible enfin de réconcilier la recherche fondamentale et la recherche appliquée, comme l’ont bien démontré l’Université de Sherbrooke et les entreprises de la région dans le passé.

Pourtant toutes les grappes industrielles de Montréal ont, elles aussi, profité de la collaboration entre chercheurs universitaires et entreprises. On n’a qu’à penser à Polytechnique, l’ETS, HEC Montréal et McGill.

Qu’est-ce qu’on fait d’Univalor, la société de valorisation universitaire qui se consacre exclusivement à la commercialisation des découvertes scientifiques des 2600 chercheurs associés à l’Université de Montréal ?

Bref, une meilleure coordination et une plus grande valorisation de l’innovation ne sont pas des phénomènes nouveaux au Québec. Et elle s’organise un peu partout sur le territoire québécois, que ce soit dans les secteurs de la foresterie ou celui des alumineries, avec le développement notamment de la technologie Elisys.

Le gouvernement fait bien de favoriser une plus grande cohésion entre les différents acteurs régionaux comme il vient de le faire à Sherbrooke et Bromont en participant activement à ces projets mobilisateurs.

On doit maintenant s’attendre à ce qu’il fasse de même dans les secteurs des technologies propres et de l’électrification des transports, où le Québec dispose avec Hydro-Québec d’un puissant catalyseur d’énergie et de projets.