Facebook est un réseau social et non le Carrefour Laval. Trop de consommateurs, attirés par la facilité du commerce en ligne et la popularité de l’achat local, l’ont appris à leurs dépens ces derniers mois.

Quand on clique sur une publicité alléchante et qu’on achète d’une entreprise dont on ignorait l’existence la seconde d’avant, on court le risque de ne jamais pouvoir retrouver le vendeur. Rien ne garantit que la robe, le manteau ou le jouet dans le colis sera conforme à la jolie photo en ligne. Et c’est loin d’être assuré qu’on pourra retourner la marchandise… si on la reçoit !

C’est pas mal plus facile d’exprimer sa colère à un détaillant qui loue un local dans un centre commercial.

Le hic, c’est que les vendeurs qui s’affichent sur Facebook sont passés maîtres dans l’art de l’illusion. Si bien que même les plus avertis d’entre nous peuvent être bernés.

Lundi, je vous parlais de Québec Vibes, une entreprise qui prétend être établie à Granby et qui vend notamment des leggings doublés. Sa publicité sur Facebook, qui a été vue plus de 670 000 fois, était convaincante. Et son site, rassurant : une adresse postale sur une artère connue, un nom de présidente, des remboursements garantis.

Lisez la chronique « Gare aux leggings faussement fabriqués à Granby »

En réalité, ces leggings de piètre qualité venaient de Chine. D’ailleurs, on peut facilement les trouver sur aliexpress.com à 2,82 $ pièce, plutôt qu’au prix « en solde » de 50 $, sur quebecvibes.ca.

IMAGE TIRÉE DU SITE ALIEXPRESS

Les leggings doublés de Québec Vibes sont offerts sur le site Aliexpress à une fraction du prix.

Quand des clientes se sont plaintes à Québec Vibes que leur colis était arrivé d’Asie, le service à la clientèle leur a servi une réponse habile, dans un français impeccable.

« Nous sommes une entreprise 100 % québécoise mais malheureusement la pénurie de main-d’œuvre qui sévit dans notre province fait que nous avons délogé notre usine de fabrication et notre entrepôt en Chine. Toutes les grandes entreprises au Québec sont malheureusement obligées de procéder. »

En passant, ne cherchez plus Québec Vibes sur Facebook : disparue ! Mais son propre site existe encore.

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Ses techniques douteuses de vente doivent être efficaces, car elles sont utilisées par d’autres commerçants. Ma boîte courriel s’est remplie assez vite de messages témoignant d’expériences d’achat frustrantes par Facebook.

Le nom Le Petit Écolier est revenu très souvent.

  • Le site Le Petit Écolier est franchement bien fait.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE LEPETITÉCOLIER.CA

    Le site Le Petit Écolier est franchement bien fait.

  • Le site Le Petit Écolier est franchement bien fait.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE LEPETITÉCOLIER.CA

    Le site Le Petit Écolier est franchement bien fait.

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Son site est franchement bien fait. On peut y lire que l’entreprise de Longueuil a été fondée en 2012 par Mia Gagnon, enseignante au primaire, et Angela Roy, qui a « participé [à] des projets d’assainissement d’eau potable et lutte contre le paludisme » en Afrique subsaharienne.

Sa mission : « mettre à la disposition de votre enfant des jouets Montessori abordables qui lui permettront de se construire, développer sa motricité et son intelligence ». En plus, Le Petit Écolier verse 10 % de ses bénéfices à L’Aide internationale à l’enfance (L’AMIE), à Québec.

Comment ne pas être charmé par tant de bonté ?

« Ça semblait une belle cause et on achetait local. Après une démarche auprès de Postes Canada, le colis de piètre qualité est enfin arrivé. Rien de comparable avec ce qui est annoncé sur Facebook. Tous les commentaires négatifs sont effacés. Aucun moyen de les retracer pour demander un remboursement. C’est très décevant, car c’était un cadeau de Noël pour une fillette de 4 ans », m’a écrit Dianne.

Cynthia me raconte qu’elle a acheté un petit hamac. « Ma commande a été passée le 14 janvier et je n’ai toujours rien reçu. Le numéro de tracking fourni ne donne aucun résultat sur le site de Postes Canada. Ça m’aura coûté 50 $ pour apprendre. »

CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE LEPETITÉCOLIER. CA

L’entreprise Le Petit Écolier, qui fournit une adresse inexistante sur son site web, affirme que son hamac est « fabriqué à Longueuil ».

Vérification faite, l’adresse de la rue Hubert-Guertin, où s’alignent les bungalows, n’existe pas. Et Le Petit Écolier n’est pas davantage trouvable dans le Registre des entreprises du Québec. À l’Office de la protection du consommateur, le site a d’ailleurs fait l’objet de 61 plaintes en deux ans.

Pensez-vous que ses produits sont vraiment « fabriqués au Québec » ? Petit indice : la version du site destinée au marché français (vito-care.com) indique « fabriqué en France ».

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Les « professionnels » qui donnent leur avis sur l’importance des jouets éducatifs n’existent pas davantage.

Le plus comique, c’est que le « pédiatre Charles Tremblay » change de visage selon les pays.

Au Québec, la photo associée à son témoignage était celle du chirurgien Pramod Puligandla, de l’Hôpital de Montréal pour enfants. Informé la semaine dernière que sa photo était sur lepetitecolier.ca, le médecin a été « surpris » d’y voir son visage. Surtout avec un nom très québécois pure laine alors qu’il est d’origine indienne. « Mes amis m’appellent maintenant Charles ! », m’a-t-il dit en riant.

Le médecin a contacté la plateforme de commerce électronique Shopify, qui héberge le site. Il n’a pas reçu de réponse. Mais par un curieux hasard, sa photo a disparu du site mardi.

En France, « Charles Tremblay » a plutôt les yeux bleus et une barbe grisonnante.

  • Au centre, la photo utilisée est celle du chirurgien Pramod Puligandla, de l’Hôpital de Montréal pour enfants

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE LEPETITÉCOLIER.CA

    Au centre, la photo utilisée est celle du chirurgien Pramod Puligandla, de l’Hôpital de Montréal pour enfants

  • La photo du chirurgien Pramod Puligandla utilisée par lepetitécolier. ca provient du site de l’Hôpital de Montréal pour enfants.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE DE L’HÔPITAL DE MONTRÉAL POUR ENFANTS

    La photo du chirurgien Pramod Puligandla utilisée par lepetitécolier. ca provient du site de l’Hôpital de Montréal pour enfants.

  • En France, une autre photo accompagne le témoignage du « pédiatre Charles Tremblay ».

    IMAGE TIRÉE DU SITE DU PETIT ÉCOLIER POUR LE MARCHÉ FRANÇAIS (VITE-CARE.COM)

    En France, une autre photo accompagne le témoignage du « pédiatre Charles Tremblay ».

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Quant à « l’institutrice Amanda Gagnon », une certaine Constance, qui habite la Belgique, se plaint sur Facebook que Le Petit Écolier a volé sa photo et elle demande à ses amis quoi faire.

Vous m’avez aussi parlé d’une poignée d’autres entreprises qui utilisent le même modus operandi, de vos dollars perdus, de votre honte, des demandes de rétrofacturation difficiles, de la mode du dropshipping (qu’on pourrait traduire par livraison directe) et de vos plaintes transmises à Facebook qui n’ont rien donné dans l’immédiat.

Lisez un reportage sur les dessous du dropshipping

Le niveau de responsabilité du réseau social dans ces exemples sophistiqués de dropshipping est difficile à établir. J’ai voulu savoir quelles vérifications étaient faites auprès des entreprises qui achètent de la publicité, et de quelle manière les plaintes étaient traitées. Mais la firme qui s’occupe des relations publiques de Facebook n’a pas été en mesure de me répondre avant mon heure de tombée.

C’est plus difficile de demander des comptes à un réseau social qu’à un centre commercial.