Profitant d’une marge de manœuvre financière à l’avenant lors de son élection en octobre 2018, le gouvernement caquiste donne l’impression, depuis trois ans maintenant, de vouloir résoudre des crises ponctuelles en annonçant l’injection de sommes d’argent importantes pour y faire face, démontrant ainsi qu’il prend les problèmes au sérieux et qu’il y affecte les ressources conséquentes pour les solutionner.

Si on dit souvent que l’argent n’achète pas tout, pas plus qu’il ne peut régler tous les problèmes, il semble que l’injection de nouveaux crédits, annoncés en dehors du cadre budgétaire, soit devenue la voie privilégiée d’intervention du gouvernement québécois au cours des dernières années.

Voici quelques exemples récents où j’ai été surpris de voir la vitesse avec laquelle Québec a décidé de délier les cordons de la bourse pour réagir promptement à certains évènements souvent dramatiques et pour lesquels il a affiché une volonté ferme de prendre les choses en main, en y mettant le paquet.

En juillet 2019, devant l’indignation généralisée causée par la mort tragique de la fillette de Granby, survenue quelques mois plus tôt, Québec a annoncé un investissement de 47 millions pour réduire la liste d’attente des dossiers de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), avec l’objectif d’embaucher 400 professionnels supplémentaires. Cette carence en ressources de terrain n’était pourtant pas une réalité nouvelle, mais un fait documenté depuis longtemps.

Après avoir annoncé un programme de 25 millions pour lutter contre la violence faite aux femmes dans le budget de mars 2021, une annonce budgétaire formelle, Québec a prestement réajusté le tir le mois suivant en annonçant une enveloppe additionnelle de 223 millions pour combattre les féminicides, dans la foulée de six nouveaux drames familiaux survenus en mars et en avril.

En septembre 2021, face à la hausse marquée des fusillades à Montréal, Québec a décidé de débloquer 90 millions pour lutter contre la violence liée aux armes à feu. Trois mois plus tard, comme le nombre de fusillades ne baissait pas, Québec a annoncé, en décembre, une enveloppe additionnelle de 53 millions dans un plan de prévention de la criminalité.

En octobre dernier, face à l’arrivée de l’hiver et à la hausse du nombre de sans-abri, Québec a annoncé un financement spécial de 28 millions pour la lutte contre l’itinérance.

Entendons-nous bien, je ne remets pas en cause la grande utilité de ces programmes ni les besoins immenses qu’ils sont censés combler, au moins en partie, mais ils sont toujours annoncés après coup, lorsque surgit une crise, lorsqu’on semble à bout de ressources.

Depuis deux ans, la crise de la COVID-19 a aussi évidemment donné lieu à son lot d’exemples d’annonces de dépenses extraordinaires, comme la formation accélérée et l’embauche de 10 000 préposés aux bénéficiaires de CHSLD ou celle de plus de 5000 infirmières pour combler les manques criants dans les hôpitaux.

Les dépenses liées à la crise sont pleinement justifiées et personne ne peut reprocher au gouvernement de jouer d’opportunisme. On est en guerre sanitaire, et on était mal équipés pour y faire face.

Et Airbus ?

C’est pourquoi, dans un tel contexte où l’argent public québécois est sollicité comme jamais pour répondre à toutes sortes de crises, la nouvelle voulant que Québec soit appelé à réinvestir dans le programme de l’A220 d’Airbus peut susciter la furie de nombreux contribuables.

On le sait, l’investissement de 1,3 milliard que Québec a fait à l’époque dans le programme de la C Series de Bombardier a été ramené à une valeur de zéro dans les livres comptables du gouvernement.

Malgré le succès commercial de l’A220 et le carnet de commandes de quelque 500 avions à livrer, on ne prévoit pas que la Société en commandite Airbus Canada devienne rentable avant 2025.

Le hic, c’est que l’entente qui lie le gouvernement à Airbus prévoit le rachat des parts de Québec par Airbus en 2026, alors que la valorisation de l’entreprise ne sera encore que balbutiante. On ne pourra alors récupérer qu’une infime fraction des 1,3 milliard investis.

Airbus veut justement réinvestir dans le programme A220 afin d’augmenter la cadence de production des appareils et de réduire ses coûts pour franchir plus rapidement le seuil de rentabilité et générer enfin des profits.

En réinvestissant dans la Société en commandite Airbus Canada, Québec peut renégocier la date du rachat de ses parts dans le programme et espérer récolter un bien meilleur prix pour sa participation de 25 % en décalant la vente de celle-ci de plusieurs années. On parle ici davantage d’un investissement produisant un retour plus grand que celui attendu que d’une dépense sèche et nette.

Contrairement à d’autres grands acteurs de l’industrie aéronautique, comme Boeing, qui ne voient pas d’un bon œil la présence d’entités étatiques au sein de leur actionnariat, Airbus ne dédaigne pas la participation des gouvernements à son capital.

Les gouvernements français et allemand ont respectivement 11 % des actions d’Airbus, alors que l’Espagne complète le groupe d’actionnaires gouvernementaux avec une participation de près de 5 %. L’argent ne règle pas tout, mais il peut réduire l’ampleur d’une perte annoncée et ultimement servir alors le bien commun.