(Ottawa) La mise à jour budgétaire du gouvernement Trudeau-Freeland a confirmé ce qui était devenu une évidence : la notion de déficit zéro est définitivement morte et enterrée à Ottawa. Passée de mode.

Cette fois encore, aucune trace de cet « étrange » concept visant à équilibrer les revenus et les dépenses dans les documents du ministère des Finances. Ni cette année, ni l’an prochain, ni dans 5 ou 10 ans. Et quand on pose des questions sur le sujet, on nous répond que le gouvernement ne voit plus les choses sous cet angle. L’air de dire : vos pantalons et cravates ne sont plus au goût du jour, M. Vailles.

Le gouvernement aurait pourtant eu une occasion en or de ramener le concept sur la table dans sa mise à jour. Selon les données publiées mardi, on frôlera le déficit zéro dans 5 ans, si l’on peut dire, avec un déficit de « seulement » 13,1 milliards, ce qui est minuscule comparé aux 328 milliards de l’an dernier. L’année suivante (2027-2028) n’est pas inscrite dans les prévisions, mais au rythme où vont les choses, le fameux zéro aurait très bien pu apparaître pour la première fois depuis une quinzaine d’années.

Mais non, pour ce gouvernement, l’atteinte de l’équilibre budgétaire importe peu. Cet objectif a été remplacé par une cible moins contraignante et plus floue, soit celle de réduire le déficit et la dette en proportion de la taille de l’économie.

Cette année (2021-2022), le déficit équivaut donc à 5,8 % du produit intérieur brut (PIB) et la dette, à 48 % du PIB. Dans les deux cas, il s’agit d’un recul significatif par rapport aux prévisions du budget d’avril dernier (6,4 % et 51,2 % du PIB), possible grâce à une croissance économique inattendue. Et dans cinq ans, ces deux statistiques pourraient être de 0,4 % du PIB et 45,9 % du PIB, selon les nouvelles données du ministère des Finances.

Il faut dire que de nos jours, ce concept de déficit zéro est somme toute assez peu répandu dans les pays industrialisés. Il y a bien l’Allemagne et certains pays scandinaves qui ont porté le flambeau pendant quelques années, mais c’était avant la pandémie, qui a poussé bien des économistes à suggérer d’ouvrir les valves. Et oubliez les États-Unis ou la France, où le déséquilibre financier est un mode de vie.

Oui, mais ne devrait-on pas s’attendre minimalement à une cible à atteindre, même si c’est en pourcentage du PIB ? Le ministère des Finances ne devrait-il pas s’imposer des limites, tel un capitaine qui zieute le phare à l’horizon, et donne un coup de gouvernail si le navire dévie de sa route ?

Nenni, nous a expliqué un haut fonctionnaire du ministère. L’objectif est simplement de réduire, pas davantage. Eh bien !

Au Québec, ce sont nos cibles imposées dans une loi qui nous ont permis de régler notre problème d’endettement, contre vents et marées. Et qui nous permet, aujourd’hui, de figurer parmi les deux provinces les plus choyées par les agences de notation et les prêteurs.

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Les nouvelles ne sont pas mauvaises malgré tout, pourriez-vous me dire. Le déficit du fédéral pour l’année en cours sera de « seulement » 144,5 milliards, selon la mise à jour, ce qui est environ 10 milliards de moins que prévu en avril dernier.

Fort bien. Sauf que cette baisse de 6,5 % du déficit prévu est toute petite comparée à celle de la plupart des provinces. Au Québec, la révision à la baisse est de 44 %. En Ontario ? De 34 %. En Colombie-Britannique ? De 82 %. Même la plus éclopée du cycle actuel, l’Alberta, a révisé ses prévisions de déficit à la baisse de 68 % !

Comment expliquer que la croissance économique plus forte que prévu, qui a permis à tous les gouvernements d’engranger bien plus de taxes et d’impôts et de dégonfler leurs déficits, n’ait pas eu le même effet à Ottawa ? La raison est simple : le fédéral a puisé dans sa nouvelle marge de manœuvre pour ajouter de nouvelles dépenses depuis le budget d’avril dernier, comme c’est le cas à chaque exercice depuis 2016.

Sans ces dépenses de 28,4 milliards pour la seule année en cours, le déficit prévu aurait été de 116,2 milliards, en baisse de 25 %, ce qui est plus conforme à la tendance dans les provinces.

Les nouvelles dépenses d’Ottawa imputées à l’année courante sont souvent louables, qu’on pense aux tests de dépistage rapide (1,5 milliard) ou à la bonification de la déduction pour le travail à domicile (270 millions). D’autres concernent la prolongation de programmes de soutien aux entreprises et aux particuliers touchés par la COVID-19 (9,5 milliards). Enfin, il y a des provisions et dépenses pour aider la Colombie-Britannique victime d’inondations monstres (5 milliards), pour faire face au variant Omicron (4,5 milliards) ou pour réparer les préjudices subis par les enfants autochtones (4 milliards).

Le problème, c’est qu’on ne sent pas que le gouvernement fédéral s’impose des choix. Il ajoute constamment de nouvelles dépenses plutôt que d’en réaffecter d’anciennes. Si bien que malgré l’extraordinaire embellie économique, le déficit restera assez semblable aux prévisions cette année, l’an prochain et dans deux ans.

Croisons les doigts pour que l’incontournable hausse des taux d’intérêt des prochaines années ne provoque pas de récession et ne vienne pas ainsi réduire les recettes du gouvernement et regonfler le déficit.