Quand Lucien Bouchard a mis les Québécois devant les faits, en 2006, le choc a été brutal. Il nous traite de paresseux, avons-nous compris collectivement, insultés.

Les données étaient pourtant sans équivoque : les Québécois étaient moins nombreux à travailler qu’ailleurs et leurs semaines de travail étaient plus courtes. Les propos de Lucien Bouchard ont été caricaturés au Bye bye 2006 de RBO : « Rangez la boisson, sortez dehors, travaillez ! » Notre orgueil a été piqué au vif.

Quinze ans plus tard, le portrait a considérablement changé. Le rattrapage par rapport au Canada anglais est renversant, tant pour l’emploi que pour la rémunération. Nos semaines de travail restent plus courtes qu’ailleurs, mais l’écart avec la moyenne canadienne s’est rétréci progressivement pour être aujourd’hui à un creux depuis une vingtaine d’années.

On l’a vu pendant la pandémie : un très grand nombre de Québécois se sont retroussé les manches.

Le 3 décembre, les données de Statistique Canada révélaient que le taux de chômage avait reculé au niveau prépandémique à 4,5 % au Québec. Il s’agit du plus bas taux au Canada (l’Ontario est à 6,4 %, l’Alberta, à 7,6 %).

Pour mesurer l’évolution, le meilleur indicateur est le taux d’emploi, soit la proportion des Québécois qui occupent un emploi. Et mieux encore : le taux d’emploi des adultes dans la force de l’âge, soit les 25-54 ans.

En octobre 2021, près de 87 % des Québécois âgés de 25 à 54 ans occupaient un emploi, soit 4 points de pourcentage de plus que l’Ontario, 7 points de plus que l’Alberta et 10 points de plus que Terre-Neuve-et-Labrador. Aucune autre province n’arrive près du Québec, même pas la dynamique Colombie-Britannique (83 %).

Surtout, la croissance du Québec à ce chapitre est pratiquement ininterrompue depuis… 28 ans (si l’on fait exception du confinement de 2020, essentiellement).

En janvier 1993, seulement 68 % des 25-54 ans du Québec occupaient un emploi, contre 87 % aujourd’hui !

Il faut jeter un œil aux graphiques à long terme pour mieux saisir le phénomène par rapport aux autres provinces.

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C’est connu, le programme québécois des garderies de Pauline Marois, en 1997, a joué un grand rôle dans cette tendance. Les femmes ont intégré le marché du travail en bien plus grand nombre qu’ailleurs, ce qui a progressivement augmenté notre taux d’emploi.

Ce n’est pas pour rien que la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, veut reproduire le modèle du Québec. Elle qualifie d’ailleurs de mesure de relance son programme de garderies à bas coûts.

Mais il y a plus. Le Québec avait commencé à remonter la côte dès 1993, bénéficiant d’une cohorte de plus en plus nombreuse de jeunes bien formés, mais rendus « dociles » par la récession et le chômage, celle de la génération X.

Le rythme du rattrapage s’est surtout fait sentir à partir de 1997, comme si, une fois le référendum sur l’indépendance passé, les Québécois avaient concentré ailleurs leur énergie. La retraite des fonctionnaires, la lutte contre le déficit, la reprise économique…

Vingt-cinq ans plus tard, force est de constater que notre obsession pour l’emploi, avec les décisions en conséquence, a porté ses fruits.

Le Québec a dépassé l’Ontario pour le taux d’emploi en 2009 et l’Alberta en 2016, après les crises financières et pétrolières. La Colombie-Britannique suit le Québec de plus près, mais le Québec continue de dominer.

Les semaines habituelles de travail au Québec ? Elles continuent d’être plus petites qu’ailleurs, avec 37,6 heures, contre une moyenne de 38,2 heures au Canada. Mais ces 37,6 heures sont stables depuis une douzaine d’années, ce qui contraste avec les chutes marquées des années 1970 et 1990 (la semaine était de 40,2 heures en 1976).

Le fort taux de syndicalisation, les récessions et l’augmentation de la proportion de femmes sur le marché du travail – et donc des couples avec enfants où les deux parents travaillent – pourraient expliquer ces chutes. Peut-on appeler cela de la paresse ?

Le Québec est encore la province où la semaine de travail est la plus courte, mais attention, notre stabilité de la dernière décennie à ce chapitre se compare aux déclins de bien d’autres provinces. Et aujourd’hui, les semaines de travail au Québec équivalent à 98,4 % de la moyenne canadienne, la plus forte proportion depuis 15 ans, voire 30 ans, selon l’indicateur qu’on utilise.

Encore une fois, les courbes sont plus parlantes que les mots.

Les avancées du Québec en matière d’emploi ont des répercussions évidentes sur la rémunération. En 2010, la paye des Québécois équivalait à 89 % de celle des Ontariens, comparativement à près de 92 % aujourd’hui.

La comparaison historique avec l’Alberta illustre très clairement la crise pétrolière. Avant la crise de 2014, les Québécois ne touchaient que 73 % de la rémunération des Albertains, contre plus de 87 % aujourd’hui. Rien ne vaut des graphiques pour bien comprendre.

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L’effort de travail des Québécois a été remarquable. Certains diront que c’est plutôt l’économie des autres provinces qui a décliné. Soit. Mais tout est relatif. La diversité économique du Québec est l’une de ses forces, qui favorise sa stabilité, sa progression et ses finances publiques.

Rien n’est gagné pour autant. Il faut maintenant changer de stratégie et faire de la productivité (inventivité) notre lutte collective plutôt que celle de l’emploi. Il faut aussi inciter les 55 ans et plus – qui prennent leur retraite bien plus rapidement qu’ailleurs – à rester au travail, afin d’aider le Québec à contrer le grand problème de pénurie de main-d’œuvre.