Dans les familles du Nigeria et du Kenya, se nourrir gruge plus de 50 % du revenu disponible. C’est comme si toutes vos paies du 1er janvier à la mi-juillet ne servaient qu’à payer l’épicerie. Au Canada, 40 jours de travail suffisent pour manger toute l’année. Ce qui nous place, à l’échelle mondiale, dans une position des plus enviables.

Cette année, la Journée d’affranchissement des dépenses alimentaires était le 9 février, a calculé la Fédération canadienne de l’agriculture (FCA). En 2020, c’était le 8 février, exactement la même date qu’en 2017. Ça ne bouge jamais beaucoup.

Bon an, mal an, les Canadiens dépensent environ 11 % de leur revenu disponible pour s’alimenter. C’est moins que dans la vaste majorité des pays européens où la moyenne est à 13 %, selon Eurostat ⁠1.

Ces statistiques permettent de relativiser le coût de notre alimentation au moment où on apprend que se nourrir, en 2022, pourrait coûter de 5 à 7 % plus cher que cette année.

Telle est la principale prédiction de la 12édition du Rapport annuel sur les prix alimentaires rédigée par un groupe d’experts de quatre universités – Dalhousie, de Guelph, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique – et dévoilée ce jeudi ⁠2. Jamais n’avaient-ils prévu une augmentation aussi importante.

Concrètement, pour une famille composée d’un homme et une femme, d’un adolescent et d’une fille, le scénario le plus pessimiste (+ 7 %) correspond à un bond de 966,08 $. La facture pourrait ainsi atteindre 14 767,36 $, ce qui forcera des ménages à refaire leur budget.

Dans le cas d’une jeune famille (parents de moins de 30 ans et un enfant de 6 à 11 mois), le prix du panier est évalué à 10 135,25 $, une hausse de 663,05 $. Dans les deux cas, aucun repas au restaurant n’est prévu et le gaspillage alimentaire est limité à 5 %, ce qui est très faible.

Tous ceux qui font leurs achats en ligne peuvent par ailleurs s’attendre à payer un supplément de 2 à 8 % aux sommes indiquées dans ce tableau. Car il n’y a pas que les frais de livraison à prendre en considération. « Il y a des coûts supplémentaires associés au fait de ne pas pouvoir profiter des articles exclusifs à prix réduit en magasin et des promotions alimentaires, par exemple, les repas à “déguster ce soir” », note le rapport.

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Cet exercice de prévision est fort complexe. Les facteurs qui influencent le prix du yogourt, des framboises et du filet de porc sont nombreux et souvent indépendants de la volonté des agriculteurs et des transformateurs. Sécheresses, inondations, canicules, maladies, flambée des coûts de transport, enjeux de main-d’œuvre, coût de l’énergie, taux de change, réglementation… à quoi il faut maintenant ajouter les impacts de la COVID-19, qui force la distanciation des travailleurs dans les usines et les abattoirs, ce qui peut ralentir la cadence et accroître les coûts de production.

Ce n’est pas pour rien que le brocoli coûte 2 $ une semaine et le double la semaine d’après. Depuis quelques jours, certains supermarchés le vendent d’ailleurs 6 $ ! On n’est pas si loin du feuilleton du chou-fleur à 8 $ en décembre 2015.

Cette volatilité risque d’être de plus en plus fréquente, surtout à cause des changements climatiques, des coûts énergétiques et du prix des intrants. C’est là que les compétences culinaires et la créativité deviennent des atouts de taille pour respecter son budget.

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Les produits laitiers et les plats servis dans les restaurants devraient connaître les plus fortes hausses de prix (6 % à 8 % dans les deux cas).

À la fin d'octobre, la Commission canadienne du lait a décrété une augmentation du prix du lait à la ferme (0,06 $/litre) pour permettre aux producteurs de souffler un peu. Cela aura comme effet d’accroître de 8,4 % le coût du lait utilisé pour fabriquer le fromage et le yogourt. Ce qui se passe dans les restaurants est connu : le prix de la nourriture bondit en même temps que les salaires et les loyers. Il ne serait pas étonnant que les menus soient moins variés.

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Au chapitre des bonnes nouvelles pour les consommateurs, le rapport prévoit une stabilisation des prix de la viande (+ 0 à 2 %) après une année marquée par une importante inflation. Prenez le kilo de bifteck de ronde qui se vendait 20,34 $ en octobre. Un an plus tôt, on pouvait se le procurer pour 17,69 $, selon Statistique Canada ⁠3.

Pour le Québec, le rapport anticipe une hausse globale du prix des aliments inférieure à la moyenne. « Puisque l’inflation alimentaire était supérieure à la moyenne au Québec cette année, il est fort improbable que cela se produise pour une deuxième année de suite », explique le professeur Sylvain Charlebois, coauteur de l’étude.

Il reste que toutes ces prévisions sont une source croissante d’insécurité. Et pour ceux qui peinent à joindre les deux bouts, le prix du panier d’épicerie ailleurs dans le monde n’est qu’une mince consolation.

Voyez la proportion des revenus utilisée pour l’alimentation dans le monde (2016) (en anglais) 1. Découvrez les dépenses pour l’alimentation des ménages en Europe (2019) (en anglais) 2. Consultez le Rapport annuel sur les prix alimentaires 2022 3. Consultez l’évolution des prix de détail de certains aliments depuis un an