Des gras durs, pensent certains. Non, disent d’autres, ils sont effectivement sous-payés, avec des conséquences dramatiques.

L’étude de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) sur la comparaison des salaires des employés du secteur public québécois avec ceux du marché a provoqué beaucoup de réactions. Selon l’ISQ, les employés de l’État gagnent 9,4 % de moins que leurs semblables ailleurs, une fois tout pris en compte.

Relisez la chronique « La paye de l’État à l’ère de la pénurie »

Le comptable Yves Renaud croit que cette comparaison, qui victimise les employés du gouvernement du Québec, est bancale. Selon ce lecteur de ma chronique, l’exclusion des PME de l’univers de l’étude fausse les données⁠1.

« Il est évident que la rémunération est inférieure comparativement à celle des tsars du municipal et d’Hydro-Québec. Quant au fédéral, la paye des employés [plus élevée] est basée sur des marchés très différents, comme Toronto et Vancouver », souligne-t-il.

Selon le comptable, plus les attentes envers un poste se complexifient, plus la comparaison devient boiteuse. « Pour un comptable agréé comme moi, un ingénieur ou un informaticien, travailler en entreprise veut dire jongler avec toutes sortes de considération, comme la croissance, la rentabilité, les forces du marché, la compétitivité internationale, le développement d’une clientèle, la performance, etc. »

Yves Renaud croit que des employés qui ont des conditions garanties comme au public devraient gagner 20 % de moins qu’au privé. « Comme il est normal que les CPG donnent 0,5 % d’intérêts, contre 5 % pour des actions privilégiées. Un placement sans risque ne paye pas autant qu’avec risque. »

L’ISQ, rappelons-le, ne recense que des entreprises privées et publiques de taille semblable pour comparer des pommes avec des pommes. Les grandes organisations de son étude offrent de meilleures conditions à des employés qui sont donc triés sur le volet, pourrait-on dire.

Un autre lecteur, de Portneuf, fait valoir que la pandémie a fait ressortir les avantages du public. Durant le confinement, notamment, de nombreux employés du privé ont perdu leur emploi sans toucher de rémunération, alors qu’au public, le chèque de paye a continué à être versé.

« Dramatique » en TI

Tous ne partagent pas l’avis des lecteurs comme Yves Renaud. D’autres constatent les effets dramatiques des conditions de rémunération du gouvernement du Québec, notamment en technologie de l’information (TI).

« Dans les nouvelles technologies, le recrutement est extrêmement difficile et commence à mettre en péril le développement des organisations. Trois effets directs : des postes non pourvus pour de longues périodes, le recours à des firmes spécialisées à fort prix et des postes offerts à des employés moins qualifiés », m’explique un expert-conseil en TI qui a des mandats au public.

Selon lui, cette situation a des répercussions importantes sur la transformation numérique dans le milieu de l’éducation et sur la qualité du service aux étudiants, notamment. Les problèmes de recrutement touchent tant les techniciens et les analystes que le personnel d’encadrement.

« C’est assez dramatique », m’écrit-il.

Une secrétaire juridique, qui travaille pour des juges, se dit sous-payée, notamment en comparaison du privé. Elle affirme gagner 43 000 $ par année. « Je me fais appeler régulièrement par des chasseurs de têtes pour aller travailler au privé pour un salaire entre 65 000 $ et 70 000 $ », m’écrit l’adjointe administrative, dont la fonction la contraint à l’anonymat.

De fait, l’étude de l’ISQ montre que, pour la catégorie secrétariat de deuxième niveau (sur trois niveaux), le salaire de 43 608 $ est inférieur de 24 % à celui des entreprises privées de 200 employés et plus. L’écart tombe à 12 % quand on considère le régime de retraite et le temps de travail (l’écart est de 44 % avec le municipal). Et encore, cette catégorie de l’ISQ est plus large que le seul secteur juridique, où il y a davantage de demandes.

« J’aime mon travail au palais de justice. Mais j’en rage de l’intérieur ! J’ai réussi à convaincre une amie de venir travailler au palais et, à son premier chèque de paye, elle a pleuré en réalisant sa nouvelle vie. Elle est retournée au privé », dit-elle.

Embaucher des qualifiés, un sport extrême

Un gestionnaire expérimenté dans la fonction publique affirme que l’« embauche de candidats de qualité est devenue un sport extrême ».

« Les processus d’embauche sont longs, et les résultats, souvent décevants. Le nombre de candidatures de qualité et répondant au profil recherché peut être très limité dans plusieurs corps d’emploi (professionnel et technique). Il y a des taux de roulement de plus en plus élevés. On est constamment en processus d’embauche. On forme des employés à répétition. Et les ministères et organismes se vampirisent, la compétition est féroce », m’écrit ce gestionnaire, contraint à l’anonymat par devoir de réserve.

« Les Québécois de souche ne sont pas intéressés par nos emplois puisqu’ils ne sont pas attractifs du point de vue salarial et les Québécois d’adoption acceptent ces emplois par nécessité, même s’ils sont très souvent surqualifiés. Pratiquement aucun jeune ne postule. »

Les avis sont fort partagés, comme vous pouvez le voir, mais chose certaine, la pénurie frappe fort partout.

Il reste que l’incidence d’un bogue informatique, au public, peut paralyser un service plus longtemps – avec ses conséquences néfastes sur la productivité et sur le public – qu’un tel problème dans une banque ou une grande entreprise.

1– Les citations des lecteurs ont été reformulées par souci de concision.