La faillite de Bel-Habitat en juin a plongé la GCR et le plan de garantie des maisons neuves au cœur de l’actualité. Bon nombre de Québécois ignoraient alors tout de cet organisme créé en 2015 qui devait améliorer la protection du consommateur. Ceux qui s’y sont frottés en gardent pourtant un goût amer.

En prenant possession de leur belle maison neuve de 520 000 $, Salim Difallah et sa femme ont eu la mauvaise surprise de constater que l’une des portes de leur frigo flambant neuf ne s’ouvrait pas tellement.

Si peu, en fait, que les tiroirs ne pouvaient pas être retirés. Le couple avait pourtant envoyé les dimensions de son futur électroménager au fabricant de cuisines, et ce, avant que les plans ne soient dessinés.

C’est ainsi qu’a débuté une bataille de plus de deux ans contre la GCR, cet organisme parapublic qui garantit les constructions neuves (maisons, principalement).

J’en ai gros sur le cœur parce que j’ai l’impression que la GCR est là pour protéger les entrepreneurs. Ils essaient de faire en sorte que ça ne leur coûte pas cher. Et s’ils ne sont pas d’accord avec toi, ils arrivent avec une armada d’avocats alors que je suis un simple citoyen.

Salim Difallah

Salim Difallah est amer, même s’il a fini par gagner sa cause (pas pour les raisons qu’on pense) et obtenir une nouvelle cuisine. Alors imaginez le sentiment de ceux qui perdent…

Au départ, la GCR n’avait pas donné raison au couple de Rivière-des-Prairies.

Conformément au processus établi, il avait porté sa cause en arbitrage. « L’arbitre m’a ordonné d’aller m’acheter un frigo plus petit ! relate Salim Difallah. Eille, j’ai une famille. L’entrepreneur n’a pas respecté le plan. »

Coup de chance ou de malchance, ses portes d’armoires, qui devaient être en bois de bonne qualité, se sont mises à se fissurer et à présenter une série d’autres problèmes. La GCR a proposé du « resurfaçage ». Mais dans un second arbitrage, le couple, qui ne voulait pas de « rafistolage », a gagné. En refaisant entièrement la cuisine, l’entrepreneur a respecté le plan d’origine et le frigo a pu s’ouvrir normalement.

Le processus « a pris pratiquement deux jours et demi », avec ce que ça suppose de pertes salariales. « Ce n’est vraiment pas évident », conclut Salim Difallah.

Ion Nicolau partage le même sentiment. Il a soumis à la GCR des problèmes avec sa thermopompe, son plancher flottant, sa céramique et son balcon. Il s’est rendu en arbitrage où il a perdu sur toute la ligne.

« J’ai trouvé le processus très obstructionniste. L’entrepreneur a toujours raison. Pourtant, ce que j’ai demandé était évident », dit l’ingénieur en électricité.

Le résidant de Saint-Philippe, en Montérégie, est « frustré parce que le processus ne sert à rien » et que la garantie « ne vaut rien », à son avis. « L’assurance est proche de l’entrepreneur. C’est ça, ma conclusion. »

Mais selon la GCR, 67 % des 3 063 décisions rendues depuis 2015 reconnaissaient au moins un point en faveur du consommateur.

Le problème de balcon de M. Nicolau aurait dû être déclaré dans les trois jours ayant suivi la prise de possession, lui a mentionné la GCR comme raison pour refuser la réclamation.

De fait, les nouveaux propriétaires ont trois jours – oui, trois petits jours – pour déclarer les « malfaçons apparentes », comme une marque sur un comptoir. Il importe donc, lors de la prise de possession, de bien inspecter chaque recoin. Le hic, c’est qu’il faut s’y connaître en construction pour voir certains problèmes. Et bien souvent, on est surtout préoccupé par son déménagement.

« Mon conseil, c’est d’embaucher un inspecteur pour la préréception. Même si ça lui prend une journée. On ne peut pas tout voir quand on n’est pas un expert. Les experts de la GCR m’ont reproché de ne pas avoir vu le mur vide dans un délai raisonnable. Je ne sais pas ce qu’il y a dans les murs, moi ! », raconte Salim Difallah.

C’était ce fameux mur « vide » qui empêchait le frigo d’ouvrir à plus de 45 degrés.

Un rapport de force déséquilibré

La complexité du processus de réclamation en fait pester plus d’un.

« Cela fait un an que je me bats avec la garantie [GCR] et l’entrepreneur pour des problèmes à ma maison neuve et je peux vous dire qu’il faut presque avoir son Barreau pour pouvoir avoir droit à des garanties… Alors selon moi, non, les consommateurs ne sont absolument pas protégés », m’a écrit un homme qui préfère taire son nom pour ne pas nuire à ses chances de réussite.

Le nouveau propriétaire déplore que « sur le site, ça a l’air tout simple », alors « qu’en réalité, ça l’est beaucoup moins ».

L’avocat Nabih Ouled-Zaoui, qui a représenté Salim Difallah et sa femme lors du deuxième processus d’arbitrage, convient que le simple consommateur est désavantagé.

La GCR a une avocate et ils n’hésitent pas à soumettre des décisions, de la jurisprudence. Ça déséquilibre le rapport de force.

Nabih Ouled-Zaoui, avocat

« Les arbitres sont exigeants, poursuit-il. On oublie qu’on fait face à de nouveaux propriétaires qui ne connaissent rien en construction. Ce n’est pas facile de gagner et je ne comprends pas pourquoi. La GCR, c’est une assurance. Elle devrait agir comme une assurance auto ou habitation. Le seul fait que le conciliateur voie le problème devrait suffire [à dédommager la personne]. »

Le président de la GCR, Daniel Laplante, a admis en entrevue que ce n’est « pas facile pour le consommateur » d’aller en arbitrage, qu’il « faut du coaching ».

Quant au processus d’arbitrage, il voit une solution de rechange. « Je vais vous le dire d’emblée, je ne suis pas satisfait. On pense qu’on pourrait régler beaucoup de cas en médiation. Mais la médiation est inaccessible, car elle est aux frais du consommateur. Si elle était gratuite, on pourrait réussir à régler un certain nombre de problèmes. »

En 2021, 18 des 24 décisions rendues par la GCR ont été maintenues (en tout ou en partie) par l’arbitre.

Daniel Laplante affirme que la « médiation gratuite » fait partie des recommandations qu’il a transmises à la Régie du bâtiment du Québec (RBQ), qui s’affaire actuellement à revoir le plan de garantie. La ministre de l’Habitation, Andrée Laforest, souhaite que le processus soit terminé au printemps.

Le dirigeant explique que le nœud est souvent le choix de la solution qu’il propose.

C’est ce qui provoque des demandes d’arbitrage, de la part du consommateur ou de l’entrepreneur. « Quand un consommateur gagne, on ne va jamais en révision judiciaire », précise-t-il.

Parfois, des problèmes surviennent parce que la GCR ne précise pas aux entrepreneurs comment régler les problèmes. Elle leur ordonne simplement de les corriger. « Pour moi, c’est l’obligation de résultat qui compte et je ne me prononce pas sur les travaux correctifs, c’est une obligation de résultat, ça lui appartient », a déclaré l’inspecteur-conciliateur de la GCR lors de l’arbitrage concernant la cuisine de Salim Difallah et Sabah Lynda Tighilet.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette position n’a pas plu à l’entrepreneur concerné. Il l’a souligné à l’arbitre, avant d’ajouter que la GCR ne pouvait pas le laisser choisir une méthode et ensuite se plaindre de son choix. Le hic, c’est que le Code civil dicte à la GCR d’agir ainsi, apprend-on dans le jugement.

Le problème de l’arbitrage

Au Saguenay, Samantha Cloutier et Frédéric Rouleau se sont rendus en arbitrage après que la GCR eut rejeté leur demande de réclamation faite, à son avis, trop tardivement. Leur maison a été achetée en 2016, et les problèmes d’effritement des joints de coulis de la douche et d’écoulement d’un muret ont été déclarés en 2019.

Au Québec, les maisons neuves sont garanties pendant cinq ans, mais le règlement comporte une série d’exceptions et de délais qu’il faut comprendre et respecter.

Le but de l’arbitrage était seulement de déterminer si la GCR avait eu raison de rejeter la demande en raison du délai.

Dans son témoignage, Frédéric Rouleau a expliqué qu’il avait bon espoir de régler le problème avec son entrepreneur, que son emploi du temps est très chargé et qu’il ignorait totalement l’existence du Plan de garantie. « Il admet n’avoir jamais lu le Contrat de Garantie, ni même avoir connaissance que ladite Garantie était dans le lot de documents lors de l’achat de la résidence », indique la décision.

Après une première réparation dans la douche qui ne semble pas avoir tenu le coup, et deux tentatives infructueuses de réparation d’un muret, c’est finalement l’entrepreneur qui a suggéré à son client d’appeler la GCR « en vue de s’assurer d’un suivi des malfaçons non réparées à ce jour ».

Dans sa plaidoirie, l’avocat de la GCR a rappelé que les bénéficiaires de la garantie « devaient prouver que le délai de dénonciation n’est pas déraisonnable » et qu’on « ne peut se décharger de ses obligations en prétextant ignorer ses obligations ». L’arbitre a donné raison à la GCR et précisé dans sa décision que ce dossier « se retrouve loin, très loin même du six mois considéré comme un délai raisonnable ».

Le pire, c’est que même quand la GCR est d’accord avec le consommateur, ce dernier n’est pas nécessairement sorti du bois. Il risque de devoir encore perdre du temps, de l’énergie et des heures de travail.

Ce scénario est arrivé à un pharmacien qui a acquis une maison à Laval, en 2017. Presque deux ans plus tard (un délai jugé acceptable, cette fois), il s’est plaint de divers problèmes de crépi et de hauteur d’implantation de sa résidence.

La conciliatrice a reconnu les problèmes, mais l’entrepreneur Betaplex a amené l’affaire devant un arbitre en juillet 2020. Ce dernier a maintenu la décision de la GCR et donné 45 jours à l’entrepreneur pour exécuter les travaux.

En 2017, la GCR a donné raison à un autre couple et ordonné que son entrepreneur MVP Rénovation corrige deux problèmes sur le toit, notamment. En désaccord, l’entreprise a amené l’affaire en arbitrage et a gagné. Le litige s’est ensuite transporté en Cour supérieure, où la GCR a défendu les propriétaires de la maison et sa décision.

Le juge a cassé la décision de l’arbitre. Mais l’entrepreneur s’est rendu en Cour d’appel. Encore une fois, la GCR a plaidé en faveur d’une indemnisation, mais les juges ont estimé, plus de quatre ans plus tard, que la maison n’était pas garantie.

Comme quoi une réclamation en apparence simple peut toujours être chronophage et énergivore.

Lisez la chronique « Ça prendra plus que du rafistolage »

Avec la collaboration d’Hugo Joncas, La Presse