L’histoire ressemble à s’y méprendre au dossier du tabac. Et ramène l’idée, selon moi, qu’il faut s’inspirer des politiques antitabac pour lutter contre les changements climatiques.

Cette semaine est parue une étude bouleversante selon laquelle, depuis longtemps, la pétrolière Total connaissait les impacts des énergies fossiles sur le réchauffement climatique et ses effets potentiellement « catastrophiques ». Pas depuis 10 ou 15 ans, mais depuis 1971, il y a 50 ans !

Malgré tout, pendant longtemps, l’entreprise a entretenu le doute dans la sphère publique et s’est battue contre toutes les restrictions qui lui étaient imposées. Comme l’ont fait, au XXe siècle, les fabricants de cigarettes.

L’étude sur Total a été publiée par trois chercheurs de France et des États-Unis, dont fait partie le directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique de France, Christophe Bonneuil. Elle a été publiée dans la revue Global Environmental Change et reprise dans les quotidiens Libération et Le Devoir, notamment.

Fonte des glaciers, hausse du niveau des océans, concentration inquiétante et assez précise du niveau éventuel de CO2 dans l’atmosphère : tout cela se trouve dans une publication de Total transmise en 1971 à ses employés. Fascinant, non ?

Total n’est pas la seule. ExxonMobbil et Royal Dutch Shell savaient depuis les années 1980, essentiellement, que non seulement les changements climatiques étaient causés par les humains, mais qu’ils pourraient faire disparaître certains écosystèmes, augmenter les inondations et bouleverser les conditions de vie des gens, écrit Le Devoir.

Pourtant, les pétrolières ont combattu les restrictions qui leur ont été imposées. En 1980, par exemple, un responsable d’Exxon, Henry Shaw, écrivait dans une note interne : « Nous avons tout intérêt à lancer un programme défensif très ambitieux. Car il y a de grandes chances qu’une législation soit mise en place, qui affectera nos activités », écrivait-il.

Ou encore, les pétrolières disaient vouloir miser sur une transition raisonnable et progressive, qui n’est jamais venue.

Ça ne vous rappelle pas le comportement des fabricants de cigarettes ? Qui savaient que leurs produits provoquaient le cancer, mais qui prétendaient le contraire ? Ou encore qui ont fait la publicité de marques apparemment moins nocives, telles les Player’s Light, continuant ainsi à intoxiquer les jeunes ?

Voici l’extrait d’un jugement rendu en 2019 à la Cour d’appel du Québec contre les cigarettiers dans une cause d’actions collectives.

« Non seulement ont-elles intentionnellement dissimulé au public et aux usagers les effets pathologiques et toxicomanogènes des cigarettes qu’elles mettaient en marché, mais elles ont collectivement mis au point et pratiqué un programme de désinformation visant à miner toute information contraire à leurs intérêts… »

Quand même troublant comme analogie ! Elle n’est pas parfaite, tant s’en faut. La cigarette n’a aucune utilité, ce qui n’est pas le cas de la voiture ou même du pétrole. Et les pétrolières ne semblent pas avoir eu des comportements aussi clairement répréhensibles que les fabricants de cigarettes. N’empêche…

Les jugements comme ceux de la Cour d’appel ont eu des impacts majeurs sur les fabricants de cigarettes, les sommant de verser des dizaines de milliards de dollars de dédommagements. Des fabricants ont dû recourir aux tribunaux pour éviter la faillite.

Les luttes devant les tribunaux, qui ont duré plus de 20 ans, ont été précédées par le réveil des autorités sur les dangers de la cigarette pour la santé publique. En 2006, au Québec, on a donc interdit l’usage du tabac dans les bars, les transports en commun et tout le reste.

Un tel interdit dans les bars était pourtant considéré comme une hérésie, 20 ans plus tôt. On jugeait qu’il brimait les libertés individuelles, sans considérer que ces libertés, elles, s’arrêtent quand elles heurtent celles d’autrui, soit les non-fumeurs.

En 1997, le fédéral avait précédemment exigé que les détaillants cachent les paquets de cigarettes, au grand dam des commerçants. Rappelez-vous, même Jean Coutu se battait pour permettre la vente de tabac dans ses pharmacies, ce qui était paradoxal pour une entreprise du secteur de la santé.

Les VUS

N’assistons-nous pas à un phénomène semblable avec l’essence ? Ne sommes-nous pas devant un problème majeur de santé publique qui brime la liberté d’autrui et exige des interdits ? Ne devrions-nous pas convenir que les solutions traditionnelles des économistes – l’effet des taxes et des prix sur la demande – sont insuffisantes, malheureusement ?

Permettra-t-on encore longtemps aux constructeurs automobiles, qui font vivre les pétrolières, de vanter les vertus de leurs VUS polluants dans des publicités, les associant à montagnes et forêts, quand on sait les ravages des GES sur notre environnement et notre santé ? Quand on sait que les campagnes des fabricants ont fait exploser la demande pour ces camions légers depuis 30 ans, comme le montre une étude d’Équiterre, ce qui empire le problème ?

Douloureuse remise en question collective.

+WEB Consultez l’étude d’Équiterre