Après trois années de fortes tensions politiques, jointes à l’éclosion d’une pandémie mondiale, les relations d’affaires entre le Québec et la Chine vont-elles retrouver l’élan qui a fait de la superpuissance asiatique le deuxième partenaire commercial en importance du Québec ?

L’affaire Meng Wanzhou, l’arrestation des deux Michael, l’intervention chinoise à Hong Kong ou ses menaces de mainmise sur Taiwan vont-elles, au contraire, altérer irrémédiablement la dynamique économique qui s’est développée entre les deux partenaires depuis 20 ans ?

C’est la question qui a été débattue jeudi midi par trois observateurs aguerris des relations Québec-Chine, soit Jean-François Lépine, ancien directeur des représentations du Québec en Chine, l’ex-premier ministre Jean Charest et Hubert Bolduc, président d’Investissement Québec International, lors d’un déjeuner-causerie organisé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

L’avenir des relations commerciales entre le Québec et la Chine mérite qu’on s’y attarde. Au cours des cinq dernières années, la balance commerciale entre les deux États a progressé de 60 % pour atteindre aujourd’hui 16 milliards.

Même si la Chine arrive loin derrière les États-Unis comme principal débouché des exportations québécoises, elle s’est hissée au deuxième rang des partenaires commerciaux du Québec en absorbant aujourd’hui 5 milliards de produits québécois annuellement.

« Depuis cinq ans, la balance commerciale entre les deux partenaires progresse, mais les exportations québécoises augmentent plus rapidement », a souligné Jean-François Lépine qui a quitté cette année ses fonctions de représentant du Québec en Chine.

On le sait, la Chine est encore le lieu de fabrication de quantité de produits et de composants pour les manufacturiers ou détaillants québécois, bien que des problèmes d’approvisionnement récurrents les forcent aujourd’hui à envisager la délocalisation de certaines activités ou carrément leur rapatriement au Québec.

Avec sa population de 1,4 milliard d’habitants et sa classe moyenne de 500 millions de consommateurs, la Chine reste un immense marché que les entreprises québécoises ne peuvent ignorer.

Malgré les fortes tensions politiques qu’ont créées l’arrestation de Meng Wanzhou, directrice financière du géant des télécoms Huawei, et celles dans la foulée des deux Michael, malgré le dirigisme assumé de la Chine à l’endroit de Hong Kong et ses menaces sur Taiwan, les trois panélistes ont tous été d’avis qu’on ne pouvait mettre de côté la prochaine superpuissance économique mondiale.

On a de tout temps vécu à côté d’une superpuissance, les États-Unis, a fait remarquer Jean Charest, et on a été plus d’une fois victime de son autoritarisme. Il faut apprendre à composer avec les éléments détestables du régime chinois, tout en lui rappelant notre désaccord sur les enjeux irritants, tout en gardant une vision plus large du développement du marché indopacifique.

Sécuriser la chaîne

Si les entreprises québécoises doivent continuer à développer le marché chinois en y exportant leurs produits, celles qui continuent de s’approvisionner en Chine ont déjà entrepris de diversifier leur chaîne d’approvisionnement.

On l’a vu avec la pandémie et on le constate encore tous les jours, la chaîne mondiale d’approvisionnement subit d’importantes perturbations et la Chine s’est retrouvée au cœur de plusieurs de ces bouleversements.

La semaine dernière, le PDG de la multinationale Michelin rapportait que le coût d’envoi d’un conteneur des États-Unis vers la Chine était passé en quelques années de 2400 $ à 13 000 $.

« Les manufacturiers chinois ont dû faire face à une hausse des coûts d’exportation, des frais de transport, mais aussi des coûts de fabrication, alors que le prix du charbon a bondi de 230 % », m’a précisé Jean-François Lépine.

« Lorsque Trump a imposé ses tarifs sur les exportations chinoises, beaucoup d’entreprises québécoises ont décidé de déplacer leurs sources d’approvisionnement vers des pays comme le Viêtnam, notamment pour la production de meubles et de vêtements. »

Depuis l’adoption de son dernier plan quinquennal, la Chine a entrepris d’être moins dépendante des exportations manufacturières et de miser sur la hausse de la consommation intérieure pour stimuler l’activité économique, ce qui ne se fait pas sans perturber la chaîne d’approvisionnement.

« Beaucoup d’entreprises québécoises décident de rapatrier certaines activités de fabrication pour éviter les surcoûts du transport et les retards de livraison », observe de son côté Hubert Bolduc, président d’Investissement Québec International.

À tous ces facteurs, il faut aussi ajouter celui de plus en plus important du risque social que court une entreprise à faire affaire avec un pays qui ne respecte pas les droits de la personne comme la Chine est accusée de le faire avec sa population ou sa minorité ouïghoure.

La chaîne d’approvisionnement mondiale est tendue et les tensions entre la Chine et les États-Unis ne sont pas sur le point de s’atténuer. Ces tensions vont continuer de pressurer nos relations commerciales avec la prochaine plus grande puissance économique mondiale. Il faudra apprendre à vivre avec.