Les automobilistes ont-ils raison de se plaindre du prix de l’essence ? Je veux dire, le prix à la pompe est-il particulièrement élevé sur une base historique, compte tenu du contexte économique, du prix du baril de pétrole et de l’inflation ?

Réponse courte : oui. Réponse longue : oui et non. Suivez-moi.

Le mercredi 20 octobre, au centre-ville de Montréal, l’essence se vendait au prix moyen de 1,55 $ le litre, soit 50 cents de plus qu’il y a un an, lorsque nous étions plongés dans la deuxième vague. Pour les gros rouleurs, la facture est salée.

En apparence, jamais l’essence n’a été aussi chère à la pompe. Mais voilà, quand on tient compte de l’inflation, le portrait change. Oui, le prix à la pompe est très élevé, je vous l’accorde, mais il l’a parfois été davantage entre 2011 et 2014, ou encore à l’été 2008, quand on redresse les dollars passés pour les rendre comparables à ceux de 2021.

En dollars constants de 2021, donc, le prix comparable a souvent dépassé 1,60 $ le litre entre 2011 et 2014 à Montréal et a même atteint 1,74 $ en juillet 2008. Notez que les sommets ont été enregistrés avant les crises financière de l’automne 2008 et pétrolière de l’automne 2014. Bref, le retrait de l’inflation vient tempérer le portrait.

La hausse du prix de l’essence s’explique notamment par la remontée du prix du baril de pétrole, dopé par le rebond de la demande qui a suivi la fin du Grand Confinement mondial.

Cela dit, le prix à la pompe semble grimper bien davantage que le prix du baril de pétrole, dirait-on. Autrement dit, le rapport entre le prix à la pompe et le prix du brut se serait accru ces dernières années. Est-ce le cas ?

Pour le savoir, j’ai comparé ce rapport pompe/brut dans 4 pays depuis presque 30 ans. Résultat : exprimé en proportion du brut, le prix à la pompe est comparable à celui des 7 dernières années, soit depuis la crise pétrolière de 2014, mais il est passablement plus élevé que durant la décennie précédente.

En moyenne, depuis 7 ans, les détaillants vendent l’essence 2,8 fois plus cher que le prix du baril de pétrole au Canada, alors que ce rapport était de 2,1 durant la décennie précédente. Ce multiplicateur de 2,8 n’est pas un sommet historique, puisqu’à la fin des années 1990, l’essence à la pompe se vendait 3,4 fois plus cher que le prix du baril de pétrole1.

Ce phénomène d’accroissement des marges dans le temps est très semblable aux États-Unis et en Europe, mais à des degrés différents. Ainsi, pendant que l’essence est ici 2,8 fois plus chère à la pompe que le prix du brut, ce rapport n’est que de 2 aux États-Unis, mais de 4,8 en France et au Royaume-Uni.

Notez que contrairement aux impressions des automobilistes, les variations mensuelles des prix à la pompe sont très fortement corrélées avec le prix du brut.

Évolution du prix de l’essence
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Différentes raisons expliquent ce phénomène d’accroissements des marges.

Les taxes sur les carburants sont plus élevées aujourd’hui qu’il y a 10 ans, notamment en raison des taxes sur le carbone. Il y a aussi la marge prélevée par les raffineurs qui a beaucoup augmenté, estime Sonia Marcotte, porte-parole de l’Association des distributeurs d’énergie du Québec.

En 2008 et en 2014, cette marge pouvait être estimée à quelque 10 cents le litre, contre 27 cents aujourd’hui. « La hausse à la pompe ne s’explique pas par les marges de détail », assure Mme Marcotte, selon qui ces marges ont été en moyenne de 5 à 7 cents le litre en 2008 et en 2014, comme en 2021.

Luc Grenier, gestionnaire de portefeuille chez CIBC, gestion de patrimoine, constate lui aussi que les marges de raffinage, notamment aux États-Unis, atteignent des sommets. « Les [stocks] sont très bas, ce qui crée un effet de rareté et fait augmenter les marges de profit des raffineurs et les prix », explique-t-il.

Il est à craindre que le prix du baril augmente encore si les pays membres de l’OPEP n’annoncent pas une hausse de la production lors de la réunion du 4 novembre.

D’autres observateurs expliquent différemment cet agrandissement de l’écart entre le prix du brut et celui à la pompe par rapport à il y a 10 ou 15 ans. L’une de ces raisons est la consolidation de l’industrie du détail.

Par exemple, Couche-Tard est le plus important client de Shell et d’Exxon dans le monde aujourd’hui. Et ses marges brutes sont bien plus importantes qu’il y a 15 ans. Couche-Tard se sert maintenant de l’intelligence artificielle pour optimiser ses prix à la pompe, entre autres.

Maintenant, comment expliquer que l’écart entre le brut et le prix à la pompe soit deux fois plus petit aux États-Unis qu’en Europe ? Il y a bien sûr les nombreuses taxes européennes. Mais il appert que le marché américain serait aussi beaucoup plus compétitif, plusieurs détaillants se servant de l’essence comme produit d’appel pour attirer les consommateurs (pensons à Costco), notamment.

Le Québec et le Canada ont des prix à la pompe plus élevés qu’aux États-Unis, mais encore nettement plus faibles qu’en Europe. Pendant que le prix avoisine les 1,50 $ au Canada actuellement, il atteint 2,36 $ en France et 2,75 $ en Norvège, selon le site GlobalPetrolPrices.com.

Cela dit, on est très, très loin du prix au Venezuela ou en Iran, qui est à moins de 10 cents le litre… ce qui est une absurdité économique, selon moi.

Un grand merci à la Financière Banque Nationale et à Valeurs mobilières Banque Laurentienne pour leurs données.

1. J’ai converti le prix du baril US en dollars CAN par litre pour faire la comparaison avec le prix à la pompe.