On entend beaucoup parler à l’échelle mondiale de décarbonation de l’économie et de l’urgence d’investir de façon beaucoup plus responsable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et ainsi atténuer les impacts des changements climatiques. Au Canada aussi, il en est beaucoup question, mais le gouvernement fédéral et les grands investisseurs tardent à coordonner leurs efforts pour s’attaquer aux grands enjeux auxquels nous faisons face.

C’est le constat que vient de faire l’Institut de la finance durable, organisme qui regroupe plusieurs grandes universités canadiennes et de grandes institutions financières canadiennes sous la coordination de la Smith School of Business de l’Université Queen’s de Kingston.

L’Institut de la finance durable a été mandaté pour faire le suivi des travaux du Groupe canadien d’experts sur la finance durable qui a déposé en juin 2019 un rapport final qui proposait 15 recommandations visant à favoriser un rapprochement entre les objectifs climatiques, les ambitions économiques et les impératifs d’investissement du Canada.

Deux ans après la parution de ce rapport, une seule des 15 recommandations du Groupe canadien d’experts a fait l’objet de progrès significatifs, soit la création de l’Institut de la finance durable…

Six autres recommandations, dont celle suggérant l’intégration des risques climatiques dans le système financier du Canada, ont fait des avancées modérées, tandis que cinq propositions, dont l’accélération de l’essor d’un marché privé dynamique de la rénovation énergétique des bâtiments, ont progressé de façon marginale.

Enfin, trois autres recommandations n’ont donné lieu à aucune action à ce jour, dont celle, importante à mes yeux, de créer un centre canadien d’information et d’analyse climatiques.

Le PDG d’Addenda Capital, Roger Beauchemin, est un des membres du comité consultatif de l’Institut de la finance durable. Il a été l’un des 34 experts de l’industrie canadienne qui se sont penchés sur les progrès réalisés par le rapport du Groupe canadien d’experts sur la finance durable de 2019.

Et Roger Beauchemin est bien placé pour parler d’investissement durable, puisqu’Addenda Capital est signataire depuis 2012 des Principes pour l’investissement responsable de l’Organisation des Nations unies.

« Les changements climatiques constituent l’urgence de l’heure, car ils vont provoquer une dislocation sociale importante si on ne fait rien pour les atténuer », m’explique-t-il.

Or, les recommandations proposées par le Groupe canadien d’experts sur la finance durable ne font pas l’objet du suivi qu’elles méritent.

« On prend du retard par rapport aux Européens et aux Britanniques notamment qui ont renforcé leurs normes d’investissement responsable. Le président Biden va lui aussi imposer des conditions beaucoup plus strictes pour tenir compte des changements climatiques », souligne Roger Beauchemin.

Les défis canadiens

Surtout que la situation économique et géographique du Canada commande une action encore beaucoup plus urgente et systématique selon lui.

« Notre économie est intensément liée à l’énergie avec notre production de pétrole alors que notre géographie sollicite beaucoup le secteur du transport qui est le deuxième émetteur de gaz à effet de serre en importance. Enfin notre parc immobilier, tant résidentiel qu’industriel, est la troisième source de production de CO», constate le PDG.

Il y a bien sûr des institutions financières, comme la Caisse de dépôt, qui prennent des positions plus fermes pour réduire leur empreinte carbone, mais il faut que tous les acteurs économiques clarifient leur position et se joignent au mouvement.

« On n’a même pas de taxonomie pour bien circonscrire la définition même de nos émissions de gaz. Il y a les obligations fiduciaires à clarifier et des politiques concrètes à mettre sur pied », énumère Roger Beauchemin.

La situation est telle que même les grandes sociétés d’assurances canadiennes vont avoir des difficultés à trouver des réassureurs européens comme Munich Re ou Swiss Re pour protéger leurs arrières parce que ces sociétés sont maintenant guidées par des normes d’investissement durable.

« Les grands réassureurs européens ne veulent plus assurer de couverture à des évènements liés aux changements climatiques comme les incendies de forêt dans l’Ouest ou les inondations à répétition chez nous », observe Roger Beauchemin.

Le Canada doit aussi miser davantage sur ses richesses naturelles qui sont au cœur des chaînes de production d’énergie verte, c’est aussi ça l’avenir de la finance durable, tout comme le développement de produits industriels fabriqués à partir d’énergie renouvelable.

Le PDG d’Addenda Capital se réjouit que certaines des recommandations du Comité d’experts canadiens sur la finance durable aient été en partie mises en place, mais il souhaite l’accélération du processus pour que le Canada cesse d’être en retard par rapport aux autres et qu’il puisse égaler les normes européennes et bientôt américaines d’investissement responsable.