Personne n’aime se vanter de ses échecs. Si bien que les personnes de votre entourage qui investissent elles-mêmes en Bourse vous donnent sûrement l’impression de ne faire que de bons coups. Tout en économisant bien des frais. Mais se pourrait-il que la vérité soit moins féérique ?

L’auteur du livre Lettre ouverte aux investisseurs irresponsables, le sociologue, politicologue et ex-gestionnaire de portefeuille André Gosselin, en est absolument convaincu.

« Les statistiques recueillies au cours des 20 dernières années sont incontestables : les rendements réalisés par ces investisseurs, tant sur le marché des actions que sur celui des obligations, sont pitoyables, pour ne pas dire catastrophiques », écrit-il.

D’abord publié en 2005, son ouvrage (gagnant du Grand Prix du livre d’affaires HEC) vient d’être enrichi et mis à jour. En 15 ans, le monde des finances a évolué. Les investisseurs ont désormais accès à toute une panoplie d’outils en ligne et l’information financière est plus abondante que jamais.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

André Gosselin, sociologue, politicologue et ex-gestionnaire de portefeuille

On pourrait donc croire que nous sommes aujourd’hui mieux équipés pour investir intelligemment, protéger notre capital contre l’inflation (au minimum) et réaliser des profits (au mieux).

Or, il n’en est rien, assure André Gosselin.

« Les comportements n’ont pas changé. Les gens tombent dans les mêmes pièges, me résume-t-il lors d’un échange sur Teams. Selon la firme Dalbar, l’investisseur individuel continue de faire des rendements inférieurs de 3, 4, 5 % aux indices. » Voilà qui est assez inquiétant dans un contexte inflationniste où la mode est à l’autonomie, particulièrement chez les plus jeunes.

Pourquoi une telle « incompétence » ? Parce que l’investisseur a tendance à vendre ses titres gagnants beaucoup trop tôt et à conserver ses titres perdants beaucoup trop longtemps.

Tout est affaire de psychologie, d’émotions et de biais cognitifs.

« Notre cerveau n’a pas été programmé par la sélection naturelle pour être patient. Pire encore, il n’a pas été configuré pour agir à contre-courant du groupe, et l’évolution ne l’a pas doté de cette capacité de prévoir les tendances à long terme », explique l’auteur de sept livres sur l’investissement et la finance. C’est bien dommage, car il s’agit de trois ingrédients essentiels pour avoir du succès avec ses placements.

Prenez, par exemple, cette stratégie qui consiste à conserver ses placements longtemps. Ça semble simple, mais c’est loin de l’être !

Émotif, l’humain panique et s’empresse de vendre à la moindre crise réelle ou potentielle. On l’a vu au début de la pandémie. Environ 15 % des investisseurs américains ont entièrement liquidé leur portefeuille, relate André Gosselin. Pratiquement chaque mois, des évènements suscitent un recul des indices.

Il faut éviter le butinage à tout prix, insiste l’auteur. Qu’il soit provoqué par l’angoisse, la conviction de pouvoir prédire l’avenir ou la volonté de suivre les modes. Plus on multiplie les transactions, pires sont nos rendements, confirment des études universitaires. Les sites web qui permettent les transactions à faible coût sont, en ce sens, un piège.

Même en ne conservant dans votre portefeuille qu’un seul fonds d’actions ou d’obligations, et à la limite le moins performant des 20 dernières années, vous auriez fait plus d’argent qu’en passant sans cesse d’un fonds à l’autre.

André Gosselin, sociologue, politicologue et ex-gestionnaire de portefeuille

L’Homo sapiens a aussi tendance à croire que le passé est garant de l’avenir. Or, le fonds commun le plus hot du moment ne pourra sans doute pas maintenir sa performance exceptionnelle encore longtemps.

Les experts, qu’est-ce que ça donne ?

Pour réaliser de bons rendements, mieux vaut se fier à un professionnel, soutient celui qui a écrit pour Affaires Plus et Finance et Investissement.

Mais les experts sont des humains, eux aussi ! Avec des émotions et des biais. Alors pourquoi leurs conseils (parfois onéreux, voire intéressés) seraient-ils si avisés ?

« En général, les conseillers font un bon travail, car ils doivent recommander un portefeuille diversifié », m’a répondu André Gosselin. Combien de débutants mettent toutes leurs billes dans les titres les plus populaires de l’heure ? En outre, l’un des principaux rôles du conseiller est le contrôle des émotions. Il saura tempérer les envies intempestives de tout liquider.

Malheureusement, les moins nantis n’ont pas accès à l’expertise de la gestion privée ou de patrimoine, vu les sommes minimales requises. « C’est ainsi que les riches réalisent de très bons rendements et que les investisseurs des classes moyennes ou inférieures obtiennent des rendements pitoyables. On s’étonne ensuite de constater que les riches sont de plus en plus riches, que les pauvres sont de plus en plus pauvres », déplore l’auteur.

En attendant d’avoir accès aux services de professionnels, mieux vaut s’en tenir aux fonds négociés en Bourse (FNB) qui calquent les indices ou aux FNB tout inclus, très diversifiés et abordables, poursuit-il. Car ces fonds sont la meilleure invention pour les investisseurs.

Si vous estimez malgré tout être capable de choisir vous-même les titres dans lesquels investir, sachez que vos chances de faire mieux que l’indice américain S&P 500 ou que l’indice canadien S&P/TSX sont d’« environ 2 sur 100 », rapporte André Gosselin.

Évidemment, on trouvera toujours des investisseurs autonomes qui font mieux que les experts, des histoires de novices chanceux et de professionnels incompétents. Bonne réflexion !