La campagne que mène le fonds spéculatif britannique TCI Fund Management pour que soient remaniés le conseil d’administration et la haute direction du Canadien National (CN) ressemble de plus en plus à une simple action vengeresse orchestrée pour punir le transporteur ferroviaire montréalais de s’être interposé pour empêcher son concurrent de toujours, le Canadien Pacifique (CP), d’acquérir le réseau américain de Kansas City Southern (KCS).

Visiblement, Christopher Hohn, fondateur de TCI Fund Management, n’a pas apprécié que le CN vienne surenchérir à la suite de l’offre publique d’achat (OPA) amicale que le CP avait lancée pour acquérir Kansas City Southern en mars dernier.

Dès que le CP a finalement eu le champ libre, il y a deux semaines, pour réaliser son OPA bonifiée visant le transporteur ferroviaire américain, TCI Fund Management a clairement exposé son plan d’action.

À titre de deuxième actionnaire du CN, avec 5,2 % des actions, le fonds spéculatif a demandé la convocation d’une assemblée générale extraordinaire pour obtenir des changements importants au conseil d’administration et à la haute direction du plus gros transporteur ferroviaire canadien.

Le fondateur de TCI, qui a qualifié d’incompétent le conseil d’administration du CN, veut maintenant obtenir 5 des 14 sièges du conseil et forcer le départ du PDG Jean-Jacques Ruest, qu’il a décrit comme faible.

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Jean-Jacques Ruest, PDG du CN

La raison invoquée pour justifier cette révolution de palais est que la haute direction et le conseil d’administration du CN ont mal évalué les risques de lancer une contre-offre visant le transporteur KCS, compte tenu du contexte réglementaire américain qui rendait très incertaine son acceptation.

On le sait, la tentative d’OPA a échoué parce que le Surface Transportation Board (STB), l’organisme qui gère les fusions et les acquisitions dans le secteur aux États-Unis, a refusé de permettre au CN de constituer une fiducie qui aurait conservé les actions de KCS le temps que les autorités réglementaires terminent leurs vérifications sur la faisabilité de la transaction.

Le durcissement de la position du président Joe Biden durant l’été sur les fusions dans le secteur ferroviaire a poussé le STB à refuser au CN ce qu’il a permis au CP, qui pourra payer les actionnaires et conserver les actions de KCS dans une fiducie jusqu’à l’obtention des autorisations finales.

Une motivation vengeresse

Ce qui irrite dans la croisade que mène le fonds TCI pour prendre un certain contrôle du conseil d’administration et obtenir le départ du PDG Ruest, c’est la réelle motivation qui anime son fondateur Christopher Hohn. TCI est le deuxième actionnaire du CN, tout en étant le plus important actionnaire du CP avec 8,3 % des actions du transporteur de Calgary.

Le fonds TCI n’a pas apprécié que le CN s’invite dans la danse et provoque une surenchère à la suite de l’offre du CP, qui était prêt au départ à payer 27 milliards US pour KCS. Avec son offre avortée à 33,6 milliards US, le CN a forcé le CP à augmenter sa proposition à 31 milliards US, tout en devant verser au CN des frais de résiliation de 700 millions.

Dans une entrevue accordée mercredi à l’agence Bloomberg, Charles Emond, PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec, a confirmé que la Caisse, quatrième actionnaire du CN, avec 1,7 % de ses actions, avait appuyé la transaction projetée par l’entreprise montréalaise.

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Charles Emond, PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec

C’est très rare de voir un [investisseur] activiste qui se retrouve des deux côtés d’une transaction qui implique deux acheteurs potentiels. On peut se questionner sur ses motivations réelles.

Charles Emond, PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec

Sean Finn, vice-président exécutif Services corporatifs et chef de la direction des Affaires juridiques du Canadien National, me confirme que le principal actionnaire du CN, Cascade Investment, le holding personnel du milliardaire Bill Gates qui contrôle 14,2 % des actions du CN, avait lui aussi approuvé la transaction avortée. Le président de Cascade, Justin Howell, est aussi membre du conseil d’administration du CN.

« On n’avait pas le choix de faire une offre sur KCS. Cela fait 20 ans qu’on souhaitait l’acheter, mais elle n’était pas à vendre. On travaille pour tous les actionnaires, pas pour un seul. Il fallait que l’on tente le coup et on était convaincus que l’on pouvait utiliser le véhicule de la fiducie. Les autorités américaines ont modifié les règles en cours de route », souligne Sean Finn.

Cela dit, le CN n’a pas tardé à réagir et a déposé un plan de relance dès l’annonce de son retrait de la transaction. Rationalisation des effectifs, vente d’actifs non stratégiques, réduction des dépenses en capital, rachat d’actions pour revitaliser son cours… Est-ce que le CN ne donne pas raison au militant TCI ?

« C’est un plan alternatif que l’on préparait au cas où la transaction n’allait pas de l’avant. On sort de cette opération avec 1,4 milliard de liquidités disponibles et on travaille chaque jour à améliorer nos opérations », insiste le gestionnaire.

La direction du CN se prépare à tenir une assemblée générale extraordinaire d’ici la fin de l’année et compte bien résister aux assauts de son actionnaire militant tout en continuant de gérer pour le bien de l’ensemble de ses actionnaires.