(Thetford Mines) Au mois de décembre prochain, Marcel Groleau terminera un cycle de 10 années à la présidence de l’UPA pour retourner dans ses terres et prendre un moment de répit après avoir été à la tête d’une organisation qui l’a tenu passablement occupé durant cinq mandats, avec notamment la négociation de deux accords de libre-échange et les multiples enjeux auxquels doivent faire face quotidiennement les producteurs agricoles du Québec.

Vous avez décidé de ne pas vous présenter pour un nouveau mandat de deux ans à la tête de l’UPA et vous allez quitter votre poste en décembre prochain. Qu’est-ce qui a motivé votre décision ?

Quand j’ai accepté il y a deux ans de faire un cinquième mandat, je savais que ce serait le dernier. Je ne voulais pas prolonger à plus de 10 ans mon rôle de président de l’UPA. C’est plus sain de transférer une organisation dans les meilleures conditions possibles. J’ai de très bons vice-présidents qui vont prendre la relève et qui vont avoir à affronter beaucoup d’enjeux.

Je dois également admettre qu’il y a aussi une certaine fatigue. Chaque année, je fais plus de 50 000 kilomètres en voiture. Je voyage chaque semaine de ma maison à la ferme jusqu’au bureau à Longueuil et c’était pire quand j’étais à la Fédération des producteurs laitiers parce que je devais souvent me rendre à Ottawa, là, c’était de 60 000 à 70 000 kilomètres de voyagement par année…

Qu’est-ce qui, au départ, vous a amené à vous impliquer dans le mouvement syndical ?

Ce sont des valeurs familiales. Mon père a été président de la Coop de Thetford Mines et j’assistais aux assemblées de la Fédération des producteurs laitiers de la région des Appalaches lorsqu’on m’a demandé de devenir le représentant local. Puis je suis devenu président du syndicat de la région de Québec et après vice-président de la Fédération avant de devenir président en 2004, puis président de l’UPA en 2011.

Vous étiez en mesure de vous impliquer tout en poursuivant les activités de la ferme familiale à Thetford ?

Mon frère Denis et moi, on a racheté la ferme de notre père en 1988. Quand j’ai commencé à m’occuper de syndicalisme, c’est mon frère qui m’a encouragé à le faire parce qu’il fallait qu’on s’occupe de nos affaires.

Mais sans mon frère Denis, je n’aurais jamais pu m’impliquer comme je l’ai fait et notre ferme a pris de l’expansion puisqu’on est passés de 45 vaches au départ à 325 têtes aujourd’hui, dont 200 vaches en lactation. C’est mon neveu qui va prendre la relève.

Quel a été le plus grand défi de vos 10 dernières années ? Quand je vous ai rencontré la première fois en 2015, vous souhaitiez que Québec reconnaisse l’importance économique du secteur agricole. Est-ce que c’est le cas ?

Quand j’ai amorcé mon premier mandat en 2011, le grand défi concernait les communications. On avait de la difficulté à se faire reconnaître dans les discours publics. L’UPA était perçue comme une organisation qui voulait protéger ses acquis et défendre les intérêts des gros producteurs.

Il fallait améliorer les communications avec les producteurs et avec le public. Développer une notoriété à la hauteur des attentes de nos membres. On a été plus efficaces dans nos interventions, on s’est ouverts aux petits producteurs, aux agricultrices, aux producteurs bio. On a beaucoup échangé.

Juste cette année, de janvier à août, on a calculé que j’ai donné plus de 100 entrevues. On s’est ouverts, on a pris des positions plus audacieuses, notamment sur les pesticides, sur nos pratiques agricoles, sur le bien-être animal, sur la protection du territoire agricole…

Et votre importance systémique dans l’économie ?

Notre poids économique est reconnu. Le premier ministre y fait souvent référence. Les ventes à la ferme totalisent plus de 10 milliards annuellement. On transforme au Québec plus de 70 % de ce qu’on produit, c’est plus que partout ailleurs au Canada. On exporte des produits transformés, contrairement au bœuf ou au blé de l’Ouest. Le secteur agricole, c’est 60 000 emplois et plus de 200 000 quand on ajoute la transformation.

Vous avez dû gérer de gros dossiers économiques, notamment l’implantation de l’accord de libre-échange avec l’Europe, puis la négociation du Partenariat transpacifique et la renégociation de l’ALENA. Cela vous a tenu occupé ?

L’accord de libre-échange avec l’Europe s’est fait sans nous, derrière des portes closes. On nous l’a imposé, et le résultat est qu’on a cédé des accès à notre marché sans avoir des équivalents en Europe. L’ouverture de notre marché aux 17 000 tonnes de fromages fins européens a affecté nos producteurs, parlez-en à Saputo ou Agropur.

On a par contre bien suivi les négociations du PTP et on a réussi à sécuriser notre marché même si on a dû l’ouvrir un peu pour la volaille, les œufs, le lait et les protéines laitières.

La renégociation de l’ALENA a été plus difficile, j’ai dû me rendre plusieurs fois à Washington et là aussi, on a dû faire des concessions en ouvrant un autre 3 % du marché canadien sans obtenir d’équivalent. Pire, les États-Unis limitent nos exportations de poudre de lait à des pays tiers. On a cédé notre souveraineté.

Un autre dossier chaud, notamment cet été, a été celui des abattoirs et de la transformation de viande dans lequel les producteurs ont été pris en otage par des conflits. Cela vous inquiète pour l’avenir ?

Oui, absolument. C’est le problème de la concentration qui est un problème nord-américain. Il faudrait avoir plus d’acheteurs pour nos porcs ou notre volaille pour que nos producteurs ne soient plus exposés au gaspillage alimentaire ou que le bien-être animal soit menacé comme ç’a été le cas.

Le problème de la concentration nous affecte aussi dans la distribution. Ce n’est pas normal que trois grandes chaînes soient propriétaires de 85 % de la distribution. Les marchés alternatifs sont nécessaires, il faut diversifier la distribution pour ne pas avoir à subir des hausses de prix arbitraires, seulement pour répondre aux exigences de rentabilité des détaillants.

Le problème de la financiarisation des terres agricoles vous a toujours préoccupé. Voyez-vous des solutions à moyen ou à long terme ?

Le prix des terres a plus que doublé en 10 ans, c’est un désastre pour les jeunes qui veulent se lancer dans la production et pour n’importe quel producteur qui veut prendre de l’expansion. Il n’y a plus de terres disponibles, et l’étalement urbain fait en sorte que des gens fortunés achètent des terres pour les occuper, mais sans les exploiter. Il faudrait les obliger à les cultiver en location comme cela se fait en Suisse.

On a mis sur pied avec le Fondaction une fondation pour financer l’acquisition de terres qu’on va louer à des producteurs tant qu’ils vont les cultiver. Ça prend du capital patient, mais la terre est un placement qui ne perd jamais de valeur.

Enfin, quels sont, selon vous, les grands défis que devra surmonter le monde agricole québécois au cours des prochaines années ?

Ce sont les impacts des changements climatiques et surtout l’accès à l’eau. On a beau penser que le Québec regorge d’eau, on a eu des épisodes de sécheresse inquiétants et cela va empirer. Il va falloir trouver des moyens de transporter l’eau vers les terres parce que dans beaucoup de régions la nappe phréatique ne fournit pas. L’enjeu de l’adaptation aux changements climatiques va être le grand défi des 10, 20, 30 prochaines années.