Le calcul de l’inflation au Canada, perturbé par les nouvelles habitudes des consommateurs pendant la pandémie, soulève des questions chez les économistes. Et avec raison, dois-je dire.

Le 21 juillet, Statistique Canada a publié le nouveau panier de biens et services qui sert au calcul de l’Indice des prix à la consommation (IPC). L’indice phare des prix a subi plusieurs changements, qui ont une influence marquante sur la variation des prix. Il peut sous-estimer ou surestimer l’inflation, selon les situations.

Cette problématique n’est pas sans incidence. C’est en se basant sur l’IPC, notamment, que la Banque du Canada choisit de hausser ou non le taux d’intérêt directeur. La Banque s’est donné comme cible un taux annuel d’inflation variant entre 1 et 3 %.

Pour bien comprendre, il faut savoir que l’inflation est mesurée dans différentes catégories de biens et services, comme le logement, le transport, l’alimentation, etc. C’est la moyenne de l’évolution des prix dans ces différentes catégories qui détermine le fameux taux d’inflation global.

Chacune des catégories a une importance plus ou moins grande dans le calcul. Le logement a un poids plus lourd dans le panier que les vêtements, par exemple. Statistique Canada évalue l’importance de ces pondérations avec son Enquête sur les dépenses des ménages, notamment.

Or, le nouveau panier pour le calcul de l’inflation des mois de juin 2021 et suivants, entré en vigueur ce jeudi matin, est basé sur les comportements de consommation de 2020, qui a été une année complètement atypique. Ce choix soulève des questions sur la justesse de l’inflation globale.

Par exemple, avec les mesures sanitaires et les confinements de 2020, les consommateurs ont acheté davantage de biens pour la maison, mais utilisé beaucoup moins le transport en raison du télétravail. Ils ont aussi délaissé les voyages en avion, fortement restreints.

Plus précisément, la part attribuée aux dépenses de transport est passée de 19,7 % de l’IPC dans l’ancien panier (celui de 2017) à 15,3 % dans celui utilisé cette année (sur la base de 2020). Depuis 10 ans, jamais la part des transports n’a reculé sous les 19,5 % du panier.

Autre exemple : les dépenses courantes des ménages (ameublement, équipement ménager, communications, etc.), qui tournent autour de 13 % du panier depuis 2011, sont passées à 15,2 % l’an dernier. Ce bond traduit l’engouement des consommateurs pour des produits pour la maison pendant qu’ils étaient en confinement.

Ces nouvelles habitudes conserveront-elles la même importance maintenant que l’économie revient progressivement à la normale ?

L’économiste Jocelyn Paquet, de la Banque Nationale, croit que non. Selon lui, cette décision de Statistique Canada risque de sous-estimer l’inflation au cours des prochains mois, parce que les prix qui devraient être à la hausse sont ceux qui seront liés à la recrudescence de certains services, comme les voyages et les restaurants, dont la part a reculé dans le nouveau panier.

« C’est une décision curieuse de Statistique Canada d’utiliser le poids dans le panier reflétant les comportements atypiques de 2020 alors que l’économie revient à la normale. Selon nous, Statistique Canada aurait dû utiliser la moyenne des poids de consommation du panier de 2019 et de 2020 pour mieux refléter la réalité hybride de 2021 », explique M. Paquet.

L’an dernier, juge-t-il, l’inflation a été sous-estimée par Statistique Canada car l’organisme utilisait alors les pondérations du panier de biens et services de 2017. Les hausses de prix dans les produits prisés pendant la pandémie comme le logement, les rénovations et l’ameublement ont donc été sous-pondérées dans le calcul.

L’économiste Benoit Durocher, du Mouvement Desjardins, constate la situation, mais ne la juge pas aussi préoccupante. Selon lui, l’inflation pourrait être un peu surestimée durant les premiers mois de l’entrée en vigueur du nouveau panier (mois de juin 2021 et suivants), mais la situation pourrait s’inverser par la suite.

Par exemple, les prix ont grimpé de 12 % depuis un an pour le poste « autres dépenses pour le logement ». Or, l’importance de ce poste a doublé dans le panier, passant de 2 % à 4 % du total des dépenses des ménages, ce qui a pour effet de hausser l’IPC, et non pas de le sous-estimer.

Même chose pour le poste « autres produits et services ménagers », dont la part est passée de 3,9 % à 5,3 %, alors que les prix de ce segment ont bondi davantage que la moyenne des autres produits. Selon lui, la situation pourrait s’inverser au cours des prochains mois, mais ces aléas ne changeront pas la tendance générale, croit-il.

Quoi qu’il en soit, l’Indice des prix à la consommation de juin 2021 basé sur le nouveau panier – et publié mercredi – a progressé de 3,1 % au Canada par rapport à juin 2020. La hausse annuelle avait été de 3,6 % en mai.

Le taux annuel en juin est plus important au Québec (3,7 %) qu’en Ontario (3,2 %) ou en Colombie-Britannique (2,4 %). La hausse canadienne mensuelle entre mai et juin (0,3 %) a été inférieure au consensus des économistes (0,4 %).

Réplique de Statistique Canada

Sur son site web, Statistique Canada explique que les changements inattendus des habitudes de consommation en 2020 l’ont incitée à reporter de quelques mois la mise à jour des pondérations du panier, qui était prévue pour février 2021. Ce report a permis à l’agence de prendre les dépenses de 2020, plutôt que celles de 2019, comme cela était prévu au départ.

L’agence fera une nouvelle mise à jour dès 2022, et ensuite annuellement, alors que la mise à jour des pondérations était faite auparavant tous les deux ans.

Consultez la mise à jour du panier de l’Indice des prix à la consommation

Questionnée directement à ce sujet, Statistique Canada nous a expliqué par courriel que son rôle n’est pas de prévoir l’évolution des prix, mais de rapporter les prix passés le plus précisément possible.

« On ne sait pas précisément comment évolueront les habitudes de consommation avec la relance économique. Les changements dans les dépenses pourraient conduire à des changements plus permanents, puisque de plus en plus de gens continuent de travailler de la maison, de magasiner en ligne et de dépenser davantage pour leur logement.

« De plus, les habitudes de dépenses postpandémie prendront un certain temps pour se stabiliser, la relance et la reprise seront certainement graduelles et échelonnées selon la région.

« En conséquence, sur recommandation du comité consultatif de la mesure des prix et à la suite de consultations avec des institutions statistiques homologues, la décision a été prise d’utiliser les données de dépenses les plus récentes disponibles. »