Personne n’a été particulièrement surpris d’apprendre que le gouvernement du Québec décidait finalement de rejeter le projet Énergie Saguenay, piloté par GNL Québec. Malgré l’enrobage très attrayant sous lequel il a été présenté par ses promoteurs qui le décrivaient comme le plus gros investissement industriel privé de l’histoire du Québec, ce n’est pas d’hier que ce projet a de l’eau dans le gaz et qu’il peine, en cette période de prise de conscience environnementale globale, à générer un degré d’acceptabilité sociale minimal.

Au départ, les chiffres étaient spectaculaires. Le projet de construire une usine de liquéfaction de gaz naturel et un terminal maritime au Saguenay allait nécessiter des investissements de 9 milliards, auxquels il faudrait ajouter 5 autres milliards pour la construction d’un gazoduc entre le nord de l’Ontario et le Saguenay pour y acheminer le gaz naturel de l’Ouest canadien.

Cette injection de capitaux industriels privés dans l’économie du Saguenay–Lac-Saint-Jean et d’une partie de l’Abitibi-Témiscamingue (pour la construction du tracé de 750 km du gazoduc) aurait eu un important effet de levier pour l’activité économique de ces régions. Ce qui est indéniable.

Cette somme de 14 milliards représentait le plus important investissement industriel privé de l’histoire du Québec et elle allait permettre la création de 6000 emplois permanents et temporaires durant la période de construction des infrastructures.

Une fois en activité, l’usine de liquéfaction de gaz naturel de GNL Québec et les activités de transbordement au terminal maritime de Saguenay allaient pour leur part entraîner la création de quelque 1100 emplois permanents, ce qui est considérable dans une région où l’activité industrielle – aluminerie et foresterie – est restée depuis des années stable, sinon décroissante.

La promesse de cette nouvelle et forte activité économique a été accueillie favorablement au Saguenay par des citoyens qui y ont vu enfin une occasion inespérée de diversification et de croissance pour l’avenir.

Pourtant, plusieurs économistes ont souligné au contraire que le projet GNL Québec allait aggraver la pénurie de main-d’œuvre au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Plus de 800 employés de Résolu doivent bientôt partir à la retraite et la moitié des corps de métier de la construction dans la région sont victimes d’un manque criant de travailleurs.

Mais au-delà de ces considérations strictement économiques, le projet GNL Québec souffre depuis son dévoilement de la nature même de son utilité, de sa finalité.

À l’heure où les préoccupations environnementales n’ont jamais été aussi exacerbées par les effets des changements climatiques et que même les grands investisseurs cherchent à réduire au maximum leur empreinte carbone, l’idée de produire davantage de CO2 est devenue antinomique à une croissance productive.

L’eau dans le gaz

Dès le départ, le projet de GNL Québec a suscité la controverse en proposant d’ériger une infrastructure industrielle gigantesque dans le Saguenay et de générer une activité maritime peu compatible avec l’écosystème environnant. La menace aux bélugas était lancée dès le premier jour du dévoilement du projet.

Les véritables retombées économiques étaient davantage en amont, dans l’Ouest canadien, où on aurait pu pomper davantage de gaz naturel à des fins d’exportation. Encore là, la logique n’était pas fluide.

Extraire du gaz naturel en Alberta pour le faire transiter par gazoduc jusqu’au Québec pour qu’il soit transformé en gaz liquide qui serait acheminé par bateau vers l’Asie alors que la route vers la Colombie-Britannique est pas mal plus expéditive et rationnelle…

Les promoteurs de GNL Québec n’ont pas été en mesure de susciter une acceptabilité sociale minimale. Même leurs grands partenaires financiers ont décidé de se désister en cours de route.

Le groupe Berkshire Hathaway, qui devait investir 4 milliards dans le financement du projet, a décidé de ne pas aller de l’avant en février 2020.

La Société Générale, qui agissait à titre de conseiller financier de GNL Québec, s’est retirée du projet parce qu’elle veut réduire ses participations liées aux activités d’extraction pétrolière et gazière. Investissement Québec a aussi annoncé officiellement qu’elle ne souhaitait pas participer au financement de GNL Québec parce que ce projet ne cadre pas avec ses orientations de développement durable.

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a aussi émis beaucoup de réserves sur la pertinence des activités de GNL Québec dans la poursuite d’une plus grande diversification énergétique et sa capacité à générer une acceptabilité sociale conséquente.

Bref, le projet GNL Québec aurait peut-être eu davantage de sens s’il avait vu le jour il y a 20 ou 30 ans alors qu’on cherchait à tout prix à élargir notre base industrielle et à générer de la croissance pour la croissance, sans trop se soucier des impacts environnementaux que pouvaient impliquer de telles décisions. Aujourd’hui, on n’a tout simplement plus les moyens de négliger l’empreinte que creuseront nos choix économiques.