À lire certains commentaires, on pourrait croire que la pandémie a provoqué une bulle pancanadienne qui rend les maisons plus inabordables que jamais d’un océan à l’autre.

À y regarder de plus près, on constate toutefois que la surchauffe pandémique touche bien davantage Montréal que d’autres grandes villes canadiennes.

À ma demande, les économistes Pierre Emmanuel Paradis et Julien Mc Donald-Guimond, de la firme-conseil AppEco, ont comparé l’évolution des marchés de six agglomérations canadiennes depuis 15 ans1.

L’analyse tient compte non seulement du prix des maisons, mais aussi et surtout du fardeau hypothécaire, soit la part du revenu qu’un ménage moyen doit consacrer aux versements hypothécaires d’une maison type2. Car ce que les gens achètent, ce qu’ils peuvent se permettre, ce n’est pas une maison, c’est un paiement hypothécaire, selon leurs revenus.

Première conclusion : ce fardeau hypothécaire est moins lourd aujourd’hui qu’il ne l’était avant la pandémie dans quatre des six agglomérations analysées. Ainsi, les propriétés sont plus abordables aujourd’hui qu’avant le Grand Confinement dans les régions de Québec, de Vancouver, de Calgary et de St. John’s, à Terre-Neuve.

Parmi les six villes, seuls Toronto et surtout Montréal ont vu le fardeau hypothécaire des nouveaux acheteurs s’alourdir considérablement avec la COVID-19 et le télétravail.

Dans la région métropolitaine de Montréal, un ménage moyen doit aujourd’hui consacrer 25 % de ses revenus après impôts et transferts gouvernementaux aux paiements hypothécaires de la maison moyenne de 472 000 $, selon AppEco. Avant la pandémie, c’était 22 %.

À Québec, c’est l’inverse. Ce fardeau a reculé de 2 points de pourcentage, passant de 17 % avant le Grand Confinement à 15 % aujourd’hui. La propriété moyenne se vend 285 000 $ dans la région métropolitaine de Québec, qui englobe Lévis.

Vancouver demeure le marché le plus inabordable, avec un fardeau de 44 % pour une maison type de 1,1 million de dollars, devant Toronto (39 %). Il faut toutefois savoir qu’à Vancouver, ce fardeau était plus important avant la COVID-19, puisqu’il atteignait 48 % entre 2015 et 2019.

Le président d’AppEco, Pierre Emmanuel Paradis, est étonné. « Je ne pensais pas que la variabilité pour la période de pandémie était aussi importante entre les grandes villes », m’a-t-il dit.

Deuxième conclusion : dans aucune des six agglomérations ce fardeau hypothécaire n’atteint un sommet en 2021. La situation était plus difficile en 2007 ou 2017, selon les régions.

Et même, certaines données me permettent d’estimer qu’il pouvait être plus difficile d’accéder à la propriété au milieu des années 1990 dans la région de Montréal, il y a 25 ans. Le fardeau avoisinait alors 27 %, selon mes estimations, contre 25 % aujourd’hui. Les taux hypothécaires élevés de l’époque repoussaient les acheteurs.

Les graphiques historiques illustrent éloquemment la situation. Par exemple, on constate que les deux villes pétrolières (Calgary et St. John’s) sont à des creux historiques.

Autre remarque : le marché immobilier de Québec semble avoir souffert de la période dite d’austérité du gouvernement du Québec, avec des prix des maisons alors en faible hausse.

Cela dit, il faut se garder de mal interpréter la mesure du fardeau hypothécaire moyen. Cet indicateur laisse penser que l’acheteur moyen serait en mesure de faire financer l’acquisition d’une propriété par une institution financière, peu importe le niveau du fardeau. Or, dans les faits, ce n’est pas toujours possible.

Dans les régions de Vancouver et de Toronto, par exemple, AppEco calcule qu’un ménage moyen devrait consacrer 44 % et 39 % de ses revenus à l’acquisition d’une propriété type. Dans les faits, les banques n’acceptent pas un tel niveau d’endettement et ce fardeau signifie alors qu’un ménage moyen est incapable d’acquérir la propriété moyenne.

Ce n’est pas le cas dans les quatre autres régions analysées. L’accès à la propriété est donc encore possible, en supposant que les ménages acceptent de s’éloigner du centre, qu’ils aient accumulé un bon acompte… et qu’ils réussissent à voir leur offre acceptée dans ce marché de vendeur.

1. L’équipe de Pierre Emmanuel Paradis avait déjà fait une première analyse, publiée au début mai, qu’elle a complétée en empruntant ce nouvel angle pancanadien à ma suggestion.

2. Les fardeaux et versements hypothécaires ont été calculés sur la base d’un prêt équivalant à 90 % de la valeur de la propriété moyenne (acompte de 10 %) et d’une hypothèque amortie sur 25 ans avec un taux de 5 ans négocié sur le marché.

Prix des maisons : Montréal dépasse maintenant Calgary

PHOTO JEFF MCINTOSH, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Vue du centre-ville de Calgary, en 2017. En 2021, le prix moyen des propriétés dans la région montréalaise a surpassé celui de Calgary.

Incontestablement, le prix des maisons a explosé pendant la pandémie de COVID-19 à Montréal et à Toronto. À tel point qu’une maison moyenne coûte maintenant plus cher dans la région de Montréal qu’à Calgary, une première depuis au moins 30 ans.

Voyons cela dans le détail. Une propriété typique de la grande région montréalaise se vend en moyenne 472 000 $ en 2021. Il s’agit d’un bond de 23 % par rapport à 2020, où l’on avait déjà connu une hausse de 14 % par rapport à l’année précédente, calcule la firme AppEco.

En somme, les prix de 2021 dans la région montréalaise sont en hausse de 49 % sur ceux de la période prépandémique 2015-2019. Wow ! La région englobe Laval, la couronne nord et la Rive-Sud.

En comparaison, le bond semblable à Toronto a été de 41 %. La propriété typique s’y vend 1 million de dollars par les temps qui courent, ce qui demeure environ deux fois plus cher qu’à Montréal.

La frénésie est loin d’être comparable à Québec. Dans cette région, l’augmentation par rapport à la période pré-COVID n’est pas de 49 %, comme à Montréal, mais de seulement 16 %, soit trois fois moins. Un acheteur pouvait y trouver chaussure à son pied pour 285 000 $ ces derniers mois, en moyenne.

Montréal dépasse Calgary, une première

À Vancouver et à Calgary, les hausses respectives des prix ont été de 21 % et de 2 %. Les difficultés du secteur pétrolier expliquent probablement la hausse modeste en Alberta.

Moment marquant dans l’histoire : en 2021, le prix moyen des propriétés dans la région montréalaise a surpassé celui de Calgary (472 000 $ contre 430 000 $, selon AppEco).

Les maisons se sont toujours vendues plus cher dans la principale ville d’Alberta depuis que l’Association canadienne de l’immeuble recense des données comparables, en 2005. Et c’était également le cas au début des années 1990, quand je couvrais l’immobilier au journal Les Affaires dans les premières années de ma carrière.

Ce dépassement est donc vraisemblablement une première depuis 30 ans, voire 40 ans.

Les versements hypothécaires

Le prix est l’une des trois composantes qui permettent de mesurer l’abordabilité du marché résidentiel, les deux autres étant le taux hypothécaire et le revenu disponible.

La baisse des taux hypothécaires durant la pandémie est venue amoindrir l’effet de l’explosion des prix à Montréal et à Toronto. Une hypothèque d’un terme de cinq ans – une fois les rabais négociés – portait un taux de 3,2 % à la fin de 2018, mais de seulement 1,5 % à la fin de 2020, au terme de la deuxième vague de COVID-19.

Par conséquent, les paiements hypothécaires pour la maison type ont augmenté moins fortement que le prix des maisons, calcule AppEco. Par exemple, dans la région de Montréal, le bond des versements a été de 33 % par rapport à la période pré-COVID (1713 $ en 2021), un bond important, mais passablement moins que la hausse des prix de 49 %.

Dans la région de Québec, les paiements hypothécaires n’ont augmenté que de 4 %, pendant qu’ils baissaient de 9 % à Calgary1.

Le fardeau hypothécaire

Pour compléter le portrait, il faut tenir compte du revenu disponible des ménages.

Selon les estimations d’AppEco, ce revenu en 2021 est plus élevé de 16,3 % au Québec par rapport à la période pré-COVID 2015-2019. Le bond est semblable à Toronto et à Vancouver, mais a été bien plus bas à Calgary et à St. John’s, à Terre-Neuve (5,3 % et 7,2 %).

En combinant les trois éléments (prix, taux, revenu), on constate que les ménages moyens, pour accéder à la propriété typique dans la région de Montréal, doivent aujourd’hui y consacrer 25 % de leurs revenus disponibles (après impôt et transferts gouvernementaux), un saut par rapport aux 22 % de la période prépandémique 2015-2019.

La différence est appréciable, mais assez loin du sommet de 28,2 % de l’été 2007 ou de quelque 27 % du milieu des années 1990.

À Québec, les maisons sont même plus abordables aujourd’hui qu’avant la pandémie, puisque le fardeau hypothécaire est de 15 % des revenus moyens des ménages, contre près de 17 % durant la période 2015-2019.

Sans le soutien exceptionnel des gouvernements (PCU, etc.), les revenus des ménages n’auraient pas augmenté autant, et donc le fardeau aurait bondi encore davantage, peut-être de 1 à 2 points de pourcentage de plus, peut-on estimer. AppEco juge toutefois que cette observation a ses limites, car le prix des maisons aurait alors suivi une trajectoire bien différente.

Vers une stabilisation des prix ?

La vigueur du marché immobilier dépend d’une foule de facteurs, nommément la création d’emplois, la formation de ménages, l’immigration, la faiblesse des taux hypothécaires, la progression des revenus, etc. On le constate en comparant les différentes villes du pays.

Prédire les prochaines années est donc un exercice difficile. Il reste que si les taux d’intérêt repartent à la hausse, comme on peut s’y attendre d’ici deux ans, les augmentations de prix deviendront plus modestes.

Phénomène difficile à cerner : l’impact du boom économique montréalais. Les investissements entrent à pleine porte à Montréal, comme le recense souvent Montréal International. Et avec la rareté de la main-d’œuvre, les salaires montent et les prix de l’immobilier suivent.

Si Montréal continue sur cette lancée et qu’en parallèle, Calgary et Toronto stagnent, il n’est pas impossible que l’attrait de la région maintienne une certaine fermeté dans le prix des maisons, selon moi. Après tout, une maison moyenne à Montréal demeure deux fois moins chère qu’à Toronto.

1. Les taux hypothécaires étaient plus élevés dans le passé. Ils se négociaient aux environs de 4,2 % en 2010, de 5,8 % à l’automne 2007 ou même de 8,4 % à l’automne 1994.