L’homme préhistorique cherchait le moyen de préserver ses aliments. Des millions d’années plus tard, la quête se poursuit. À Laval, une scientifique a découvert qu’une molécule issue d’une carapace de crustacé retarde la moisissure des fraises lorsqu’elle est jumelée à des huiles essentielles et à des nanoparticules d’argent.

Ce n’est pas exactement le genre de recette qui me serait passée par la tête pour prolonger la vie de mes petits fruits !

Mais pour la professeure Monique Lacroix, spécialiste de l’industrie alimentaire depuis une trentaine d’années à l’Institut national de recherche scientifique (INRS), la combinaison va presque de soi.

PHOTO FOURNIE PAR L’INRS

La chercheuse Monique Lacroix, de l’INRS, et deux membres de son équipe dans son laboratoire au Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie, à Laval

La carapace de crustacés comme les crevettes et le homard contient de la chitosane, une substance reconnue depuis longtemps, me dit-elle, pour freiner la croissance des moisissures. Quant aux nanoparticules d’argent, elles sont déjà utilisées dans les crèmes antirides pour leurs propriétés antioxydantes.

Ce que Monique Lacroix a élaboré avec son équipe est un mélange d’huiles essentielles (notamment d’agrumes) dont la composition exacte est bien sûr secrète. Elle a ensuite découvert que la synergie entre ces trois composantes, lorsque insérées dans un film, donne des résultats impressionnants sur les fraises.

Lors des tests, au bout de 12 jours, plus de la moitié des fruits (55 %) rangés au frigo de façon traditionnelle n’étaient plus comestibles. Mais dans les barquettes recouvertes du film, le niveau de perte était plutôt de 38 %. Et il y a moyen de faire encore mieux (25 % de pertes) en procédant à l’irradiation des fruits. J’y reviendrai.

IMAGE FOURNIE PAR L’INRS

La scientifique Monique Lacroix a découvert qu’une molécule issue d’une carapace de crustacé retarde la moisissure des fraises lorsqu’on la jumelle à des huiles essentielles et à des nanoparticules d’argent.

« En ce moment, on travaille sur le yogourt pour empêcher le développement des moisissures à la surface et sur la viande fraîche », me confie Monique Lacroix.

Ses travaux ont un grand objectif : réduire le gaspillage alimentaire. « Le coût élevé des fruits est dû à leur niveau élevé de pertes. Et moins il y a de pertes, plus on nourrit de monde », rappelle la scientifique. Sa découverte permet aussi d’utiliser des carapaces de crustacés, un bel exemple d’économie circulaire.

***

La mission est noble. Surtout qu’au Canada, le gaspillage alimentaire à la maison est un véritable fléau. En Amérique du Nord, le pays est même le triste champion en la matière, loin devant les États-Unis, selon une étude de l’ONU parue en mars. Chaque Canadien jetterait 79 kg (175 lb) de nourriture par année, soit 20 kg (44 lb) de plus que l’Américain moyen.

Consultez l’étude de l’ONU (en anglais)

Quand on tient compte de la nourriture perdue à la ferme, chez les grossistes, les transformateurs et dans les supermarchés, c’est la moitié des aliments qui est jetée au Canada, selon le ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire. Valeur de ces aliments gaspillés : 50 milliards de dollars par année. C’est énorme.

Il y a plein de bonnes raisons de vouloir réduire ce gaspillage. Tant économiques qu’écologiques. Produire un légume qui finit aux poubelles est une très mauvaise utilisation des sols, de l’eau, de l’énergie (pour la récolte et le transport), des routes, des avions et des ressources humaines.

Les emballages ont donc un rôle important. « L’utilisation de seulement 1,5 g de film plastique pour emballer un concombre peut faire passer de 3 à 14 jours sa durée de conservation et la vente des raisins dans des sacs ou des plateaux en plastique a réduit le gaspillage en magasin de 20 %, ont rapporté des experts britanniques, en 2019.

Consultez l’article de Manoj Dora et Eleni Iacovidou de l’Université Brunel (en anglais)

***

Verrons-nous bientôt de nouvelles barquettes inventées au Québec qui ralentissent le processus de moisissure ? « Je serais enchantée de travailler avec un industriel qui fait des films d’emballage », répond la principale intéressée. Pour le moment, le coût de sa technologie n’est pas évalué.

Monique Lacroix rappelle par ailleurs qu’au-delà des emballages, il existe une technologie qui fait des miracles « et qui est acceptée depuis plus de 40 ans à l’échelle internationale » : l’irradiation. Elle y croit beaucoup.

Ce procédé permet au bœuf haché cru d’être consommé sans danger après deux semaines. Au Canada, l’irradiation est autorisée sur le bœuf haché depuis 2019. Son recours doit être spécifié sur l’emballage. La farine, les pommes de terre, les oignons et les épices peuvent aussi être soumis à cette technique qui utilise des rayons X ou gamma, ou des faisceaux d’électrons. Bref, c’est encore très peu développé.

Monique Lacroix déplore la résistance des Canadiens envers cette solution antigaspillage qui prévient aussi les intoxications alimentaires. « Quand ils sont bien informés, les consommateurs demandent ensuite des produits irradiés à l’épicerie, dit-elle. C’est faux de dire qu’on va manger des produits radioactifs qui donnent le cancer. »

Avant que cette technologie soit plus répandue, peut-être pourrons-nous compter sur des crustacés et des huiles essentielles pour sauver nos belles fraises d’un décès prématuré.