Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a déposé jeudi à Québec son projet de loi visant à mettre fin à l’obsolescence programmée pour les biens de consommation et propose une première mesure « anti-citron » au Canada.

Québec souhaite donc mettre des bâtons dans les roues aux fabricants tentés d’offrir des produits de moins bonne qualité afin de s’assurer que les consommateurs soient obligés de les renouveler prématurément.

Les fabricants qui voudraient suivre cette voie « s’exposeraient à des amendes pénales pouvant aller jusqu’à 125 000 $ ».

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« Il s’agit d’un enjeu complexe qui nécessite que l’on trouve le bon équilibre entre la protection des Québécoises et Québécois et la compétitivité des entreprises », a indiqué le ministre, en conférence de presse.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette

Il est primordial que les familles québécoises en aient pour leur argent lorsqu’elles achètent un bien et c’est encore plus vrai dans le contexte d’inflation que nous connaissons actuellement.

Simon Jolin-Barrette

Le projet s’intéresse aux voitures, et notamment à celles qui posent régulièrement problème à leur propriétaire.

« Avec ce projet de loi, le Québec deviendra le premier au Canada à adopter une mesure anti-citron », précise Simon Jolin-Barrette. Les propriétaires de citrons, ces voitures neuves qui nécessitent toujours des réparations, pourraient faire déclarer leurs véhicules « gravement défectueux » par le tribunal.

Autre mesure incluse dans le projet de loi 29 : les consommateurs pourraient faire affaire avec le garagiste de leur choix plutôt qu’avec une entreprise imposée par le fabricant automobile ou avec le concessionnaire lui-même.

Accès aux données des véhicules

L’entreprise choisie pour faire la réparation devra aussi avoir accès aux données concernant le véhicule.

Et ce détail est fort important, insiste Jean-François Champagne, président de l’Association des industries automobiles du Canada.

« De plus en plus, les véhicules qu’on conduit sont des ordinateurs sur roues », explique-t-il. Selon lui, ne pas avoir accès aux données du véhicule rend très difficile la calibration d’un véhicule par un garagiste indépendant.

« De plus en plus, on vit dans un monde riche en information, précise Jean-François Champagne. Il faut que cette information-là soit rendue disponible et partagée par l’industrie automobile. Ça prenait la législation pour le faire. »

La Corporation des concessionnaires automobiles du Québec était moins enchantée du projet de loi, jeudi. Le groupe se dit très, très inquiet.

« Plusieurs éléments comme ouvrir la porte à l’entretien et à la réparation domestiques des véhicules automobiles pourraient miner la sécurité et la fiabilité des véhicules sur la route, un risque qu’il ne faut pas encourager », a déclaré par courriel Ian P. Sam Yue Chi, président de la Corporation.

Dans le cas des gens qui louent leur véhicule, ils auront droit à une inspection indépendante gratuite avant la fin de leur bail.

La garantie du bon fonctionnement

Le projet de loi présenté jeudi veut surtout offrir une meilleure protection aux consommateurs pour l’ensemble des biens courants en offrant une garantie de bon fonctionnement lors de l’achat, quelle que soit la valeur de la marchandise.

« Une cuisinière qui ne fonctionne plus et qu’on ne vient pas à bout de faire réparer, un ordinateur irréparable faute d’instructions disponibles, une automobile tout juste sortie du concessionnaire qui commande un abonnement mensuel chez le mécanicien, ce ne sont pas des situations qui sont acceptables et le consommateur ne devrait pas en faire les frais », a dit M. Jolin-Barrette jeudi matin.

Le principe de garantie légale existe déjà au Québec. Celui-ci fait en sorte que si un bien brise dans un délai déraisonnable suivant son achat, le consommateur peut demander un remboursement au marchand.

La grande différence avec la loi 29, explique le ministre, est que le fardeau de la preuve passe du consommateur au commerçant.

Dès qu’un consommateur se rend compte qu’il a entre les mains un produit défectueux, il peut demander au fabricant de le réparer, aux frais de ce dernier.

Le fabricant doit le faire. S’il refuse, son client peut porter plainte à l’Office de la protection du consommateur.

Comme en Europe et en Australie

Est-ce que le Québec pourrait froisser des industriels, avec une loi contraignante ?

Le Conseil du patronat du Québec rappelle justement à l’État québécois qu’il ne pèse pas lourd dans la balance du commerce mondial.

« Le gouvernement doit garder à l’esprit qu’il faut harmoniser nos réglementations avec les autres partenaires économiques et travailler avec les commerçants pour prendre en compte leurs enjeux et leurs réalités », a déclaré jeudi Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil, dans un communiqué.

Le ministre Simon Jolin-Barrette a indiqué que Québec n’est pas le premier à imposer ce genre d’encadrement, que plusieurs États américains le font déjà, ainsi que l’Europe et l’Australie. Ce qui ne les prive pas des produits des grands industriels internationaux.

La Loi sur la protection du consommateur sera modifiée afin d’y inclure cette « garantie légale de bon fonctionnement pour certains biens neufs couramment utilisés ».

Des délais seront établis, selon le produit, afin de déterminer ce qui est jugé normal pour son bon fonctionnement.

Des pièces et des instructions

C’est aussi l’Office qui va faire enquête s’il reçoit une plainte d’un consommateur qui croit être en présence d’un cas d’obsolescence programmée.

Reste qu’il ne sera pas facile de prouver que des fabricants prévoient une courte durée de vie de leur produit ; le concept d’obsolescence programmée ne fait d’ailleurs pas l’unanimité.

Le ministre de la Justice, lui, y croit.

« C’est inadmissible qu’un appareil parfaitement fonctionnel soit muni d’un dispositif qui l’empêche de fonctionner normalement après un certain temps, a dit Simon Jolin-Barrette. C’est tout aussi intolérable qu’un appareil électronique soit délibérément conçu pour que son évolution soit limitée. »

Questionné à ce sujet, il a cité l’exemple de photocopieuses qui cessent de fonctionner après avoir fait 1000 copies.

« On a tous déjà vu ce cas-là », a même appuyé le ministre de la Justice.

À l’époque, ma grand-mère, quand elle achetait une cuisinière, elle durait 25-30 ans. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas du tout, alors que la technologie s’est améliorée.

Simon Jolin-Barrette

Parmi les mesures concrètes incluses dans ce projet de loi, l’obligation pour les fabricants de s’assurer que les pièces de rechange de leurs produits sont disponibles, si le produit devait briser, et offertes à un prix raisonnable.

Les fabricants devront aussi s’assurer que les consommateurs sachent comment effectuer la réparation.

Les entreprises auront au moins une année pour s’adapter aux nouvelles mesures après l’adoption de la loi.

Une mesure verte

Avec cette loi, Québec veut aussi faire un geste écologique en assurant une plus longue durée de vie aux biens matériels. D’autant, a indiqué le ministre de la Justice, que les consommateurs ont souvent le réflexe d’acheter un nouveau produit plutôt que de réparer celui qui est brisé étant donné que le processus de réparation peut être compliqué et dispendieux.

« Il y a un lien avec la protection de l’environnement, à partir du moment où on favorise l’économie circulaire, à partir du moment où on favorise le droit à la réparation ; ce que ça implique, c’est un recours moins automatique aux lieux d’enfouissement technique, communément appelés dépotoirs », a affirmé jeudi Benoit Charette, le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.

Équiterre a d’ailleurs salué le projet de loi dès son dépôt.

« Ce qui est prometteur, c’est qu’on veut agir sur le principal frein à la réparation, soit la conception même des objets. En rendant obligatoire la possibilité de remplacer et de réparer des pièces avec des outils communs, on force les fabricants à changer leurs pratiques. Il était plus que temps de renverser ce fardeau et de donner plus de pouvoir aux consommateurs et consommatrices », a fait valoir Amélie Côté, analyste en réduction à la source chez Équiterre.

Rappelons que la députée du Parti libéral Marwah Rizqy avait déposé, en janvier dernier, le projet de loi 195 dont le but était de lutter contre l’obsolescence programmée et de faire valoir le droit à la réparation des biens. Les pénalités imposées aux entreprises fautives dans le projet de loi 195 étaient beaucoup plus élevées que celles proposées dans le projet de loi 29 du gouvernement.

Le projet de loi 29 en quelques mots-clés

Marchandise neuve

Donnera la responsabilité au fabricant de livrer une marchandise de qualité.

Si tel n’est pas le cas, il devra reprendre ou réparer le bien, à ses frais.

Délai raisonnable

Déterminera le laps de temps durant lequel un produit doit bien fonctionner, selon la catégorie à laquelle il appartient.

Obsolescence programmée

Donnera les pleins pouvoirs d’inspection à l’Office de la protection du consommateur si un cas d’obsolescence programmée est soupçonné.

Produits concernés

Déterminera quels biens seront encadrés après consultation auprès de l’Office de la protection du consommateur et en s’appuyant sur la jurisprudence.

Amendes

Imposera des amendes de 125 000 $ pour un cas d’obsolescence programmée avéré, ou quatre fois le profit réalisé par l’entreprise fautive grâce à la vente du bien en question.

Réparation facile

S’assurera que quiconque veut réparer un objet puisse le faire avec des outils usuels, accessibles et sans avoir suivi un cours de génie.

En savoir plus
  • 63 %
    Au cours des deux dernières années, 3 personnes sur 5 (63 %) ont fait face à au moins un bris d’appareil.
    Source : Équiterre
    25 %
    Seulement le quart des Québécois et Québécoises ont fait réparer des appareils électroménagers et électroniques brisés durant les 24 derniers mois.
    Source : Équiterre