(Baie-Comeau) Pour développer son économie, la Côte-Nord mise sur ce que la nature qui l’entoure lui offre : le bois, bien sûr, mais aussi des petits fruits comme la baie d’argousier, l’airelle ou la chicoutai. Des chercheurs réunis au cégep de Baie-Comeau mènent diverses expériences pour en optimiser l’usage et développer de nouveaux débouchés. Notamment de la bière.

Ce n’est pas pour garder des boissons au frais que la chercheuse Ève-Catherine Desjardins garde un petit frigo dans son bureau du Centre d’expérimentation et de développement en forêt boréale (CEDFOB), situé au cégep de Baie-Comeau. Il n’est même pas branché. Derrière sa porte, on découvre pourtant plusieurs dizaines de pots d’environ un litre remplis d’un liquide orangé où flottent parfois des fruits à moitié écrasés de la même couleur.

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Ève-Catherine Desjardins et Serge-Thierry Lekounougou, chercheurs au Centre d’expérimentation et de développement en forêt boréale

Ces sphères informes sont en fait des baies d’argousier, étoile montante des petits fruits de la Côte-Nord. Elles baignent dans un liquide essentiellement composé de jus de pomme. Leur entreposage dans ce frigo démis de ses fonctions réfrigérantes fait partie d’un test de fermentation mené par l’équipe du CEDFOB en collaboration avec une entreprise locale, la microbrasserie St-Pancrace.

On est en train de chercher la meilleure technique pour faire fermenter ces fruits-là.

André Morin, copropriétaire de la microbrasserie St-Pancrace

Ce n’est pas la première fois que l’entreprise collabore avec le centre de recherche. Ses bières Tête-de-cheval (une blanche sûre à l’argousier et à l’airelle), Baie-Cachée (une sûre à la camerise) et plusieurs autres ont aussi été développées main dans la main avec les scientifiques du CEDFOB.

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La mise en valeur des produits nord-côtiers est au cœur du travail de la microbrasserie St-Pancrace, de Baie-Comeau. André Morin est l’un de ses copropriétaires.

« On ne sait pas toujours si un produit va sortir de ce qu’on fait là, admet André Morin. Ce qu’on sait, par contre, c’est qu’on est en action pour notre croissance et que, pour ça, il faut avoir des projets dans ses cartons. Avec le CEDFOB, on a accès à toute une équipe qui a des équipements qui permettent d’accélérer la phase de recherche et développement. »

Diversifier les produits

Mis sur pied en 2004, le CEDFOB a pour mandat de faire de la recherche appliquée dans le but de stimuler la demande pour les produits issus de la forêt boréale qui l’entoure et d’en optimiser l’utilisation. Il mène plusieurs projets avec l’industrie forestière, mais met de plus en plus l’accent sur les petits fruits nordiques qui, avec l’entomologie, sont une spécialité de la chercheuse Ève-Catherine Desjardins.

Elle se consacre notamment au développement de « régie de production », c’est-à-dire les meilleures pratiques d’agriculture. Spécialiste de la pollinisation et des abeilles nordiques, elle supervise aussi les cultures expérimentales de petits fruits. « On fait de la multiplication en laboratoire. On va en chercher des spécimens et on travaille avec les producteurs pour favoriser les plus productifs, les plus résistants, les meilleurs au goût », explique-t-elle. Une fois les cultures « montées » vient le maillage avec les entreprises locales.

  • Tests de fermentation de baies d’argousier en cours au CEDFOB en collaboration avec la microbrasserie St-Pancrace

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    Tests de fermentation de baies d’argousier en cours au CEDFOB en collaboration avec la microbrasserie St-Pancrace

  • Les chercheurs du CEDFOB mènent plusieurs expériences à partir des déchets de petits fruits, notamment le développement d’huiles diverses pouvant servir dans des produits cosmétiques.

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    Les chercheurs du CEDFOB mènent plusieurs expériences à partir des déchets de petits fruits, notamment le développement d’huiles diverses pouvant servir dans des produits cosmétiques.

  • Plusieurs des bières aux petits fruits de la microbrasserie St-Pancrace, de Baie-Comeau, ont été développées avec l’aide du CEDFOB.

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    Plusieurs des bières aux petits fruits de la microbrasserie St-Pancrace, de Baie-Comeau, ont été développées avec l’aide du CEDFOB.

  • Huile de pulpe d’argousier, petit fruit reconnu pour ses propriétés antioxydantes

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    Huile de pulpe d’argousier, petit fruit reconnu pour ses propriétés antioxydantes

  • Airelles

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    Airelles

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« Dans le passé, les producteurs se contentaient de vendre leur production », explique son collègue Serge-Thierry Lekounougou.

Étant donné que certains produits peuvent s’oxyder ou se dégrader rapidement, les producteurs et les entreprises de la Côte-Nord mettent de plus en plus l’accent sur la transformation locale.

Serge-Thierry Lekounougou, chercheur au Centre d’expérimentation et de développement en forêt boréale

L’époque où les petits fruits nordiques ne servaient qu’à faire des confitures ou gelées plus ou moins artisanales est révolue. « Il y a une grande demande pour les alcools, mais aussi pour les cosmétiques », dit la chercheuse, évoquant des savons, des hydrolats et des crèmes fabriqués avec des sous-produits de l’argousier, par exemple. « L’idée est d’exposer les propriétés des petits fruits parfois méconnus qui pourraient avoir la même valeur que d’autres produits qui viennent d’ailleurs », ajoute Serge-Thierry Lekounougou, formé en biologie et en chimie.

Un cœur régional

L’impact du CEDFOB sur la Côte-Nord ne peut être sous-estimé, selon André Morin, de la microbrasserie St-Pancrace. « Les projets de maillage avec les cueilleurs et les producteurs de la région partent de là », dit-il. Ce centre de développement et de transfert technologique constitue par ailleurs une priorité régionale aux yeux de Québec, qui a investi plus de 8 des 9 millions nécessaires à la construction d’un nouveau pavillon du cégep de Baie-Comeau qui abritera bientôt le CEDFOB.

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Québec a investi 8 des 9 millions nécessaires à la construction d’une nouvelle aile du cégep de Baie-Comeau qui regroupera bientôt tous les laboratoires du CEDFOB.

Le nouvel édifice, toujours en construction au moment du passage de La Presse au mois d’avril, est d’une superficie de 15 000 pieds carrés distribués sur 3 niveaux. Il regroupera les quatre laboratoires actuellement dispersés sur trois sites, dont l’un est situé à Pointe-aux-Outardes, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Baie-Comeau. Il abritera aussi un centre d’interprétation et de sensibilisation sur la forêt boréale.

En 10 ans, Ève-Catherine Desjardins a vu la situation changer : les récoltes de petits fruits augmentent et les marchés se développent. « L’airelle, on ne fournit pas. La chicoutai commence à être très populaire aussi », remarque-t-elle. Investir entre 5000 $ et 20 000 $ dans un projet de recherche vaut le coup, selon André Morin. « Ce sont des sommes raisonnables dans la mesure où on pense qu’il y a un débouché », analyse-t-il, tout en soulignant que la valorisation des produits nord-côtiers fait partie de la signature de la microbrasserie St-Pancrace.

De la forêt au compost

Le volet matière ligneuse n’est pas en reste, signale toutefois Serge-Thierry Lekounougou, spécialiste de la biochimie du bois. Le CEDFOB mène notamment, avec l’industrie forestière et le ministère des Ressources naturelles et des Forêts, un projet visant l’amélioration de la qualité du bois, grandement affecté par la tordeuse du bourgeon de l’épinette.

« L’idée était de développer des méthodes pour identifier les essences et les secteurs où les arbres sont moins dégradés et d’établir des critères de défoliation, explique-t-il. Avant, on le faisait directement sur le terrain, maintenant on utilise aussi des drones qui permettent de voir les secteurs plus ou moins défoliés pour guider les entreprises et leur dire où elles peuvent aller récolter. »

Les chercheurs du volet matière ligneuse travaillent aussi avec des entreprises de la région pour valoriser les résidus de l’industrie forestière et le recyclage de bois de construction. Le CEDFOB aide par exemple une entreprise qui fabrique notamment du compost à partir d’écorce de bois à « améliorer sa recette ».

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Ève-Catherine Desjardins, dans le nouveau pavillon du CEDFOB. Une partie du bois servant à la construction a été offert par Produits forestiers Résolu.

Ce n’est pas un détail, car la mise en place d’une économie circulaire axée sur la réutilisation de résidus forestiers, de déchets de petits fruits ou d’autres activités industrielles (comme le brassage de bière) se trouve aussi au cœur de la mission du centre de recherche. Les huiles d’argousier et de chicoutai, par exemple, sont d’ailleurs issues du pressage de leurs fruits. Les drêches de la microbrasserie St-Pancrace, elles, sont notamment réutilisées par un producteur de champignons et un éleveur de cerfs.

« Participer à une économie circulaire et de partage, c’est une valeur essentielle pour nous, dit André Morin. On le fait avec notre bière, mais on pense aussi qu’une région rayonne à travers son identité entrepreneuriale forte et ses partenariats. »

Qu’est-ce que le CEDFOB ?

Le Centre d’expérimentation et de développement en forêt boréale, affilié au cégep de Baie-Comeau, est un organisme sans but lucratif qui travaille en partenariat avec des entreprises de la Côte-Nord à l’amélioration de leurs pratiques et au développement de nouveaux produits.

Il a été fondé en 2004 et s’est d’abord consacré aux produits forestiers. Il s’intéresse de plus en plus à la valorisation des petits fruits nordiques comme l’airelle, l’argousier et la chicoutai. Il valorise aussi le recyclage de déchets et résidus agro-industriels dans un esprit d’économie circulaire.

Le CEDFOB est aussi un centre collégial de transfert de technologie faisant partie d’un réseau panquébécois qui en compte près de 60.

Le Québec en mouvement

Baie-Comeau

Population : 20 800 habitants

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