Aluminerie Alouette se dit « irritée » et « limitée » par le service d’Air Canada à Sept-Îles

(Québec) Le peu de fiabilité du service d’Air Canada à Sept-Îles fait maintenant obstacle au « bon déroulement des opérations » d’Aluminerie Alouette et à la « mise en œuvre » de ses projets de développement. Devant le silence de la compagnie aérienne, la plus importante aluminerie des Amériques presse le gouvernement Legault d’agir.

La haute direction de l’entreprise de quelque 900 employés s’est adressée directement à Air Canada pour lui faire part de son « insatisfaction » quant à la fiabilité et à la qualité de son offre en région, a appris La Presse. « Nos employés et partenaires d’affaires subissent les contrecoups de la réduction notable des services », écrit le vice-président finances et administration dans une lettre datée du 1er mars.

Charles-André Nadeau cite dans sa missive la « limitation de l’offre », comme la fin de la liaison Sept-Îles–Québec, les horaires « inflexibles et peu adaptés à la réalité des entreprises » et la « récurrence des retards, reports et annulations de vols sans préavis ».

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Comptoir d’Air Canada à l’aéroport de Sept-Îles

Air Canada offre depuis la reprise post-pandémique un seul vol vers Montréal à 5 h du matin et un retour à 22 h 50.

Ces aléas provoquent une « incertitude constante » qui en font désormais « un enjeu majeur tant pour le bon déroulement [des] opérations régulières que pour la mise en œuvre de certains de nos projets de développement », plaide M. Nadeau, qui ajoute que les « effets négatifs » subis affectent, « de plus en plus significativement, le cours [des] affaires » de l’entreprise.

À ce jour, la missive de l’aluminerie est demeurée sans réponse.

« Ce qui me dépasse, c’est que j’ai eu zéro retour à date », a déploré M. Nadeau en entrevue avec La Presse. Selon l’entreprise, Air Canada n’a accordé ainsi aucune priorité à son plaidoyer dans lequel elle sollicite la collaboration du transporteur afin de mettre en place des « solutions durables et profitables pour l’ensemble de la Côte-Nord ».

« Il faut que tout le monde ici se prenne en main et monte la pression au niveau politique pour qu’eux embarquent sur la glace et nous aident à régler notre problématique parce qu’Alouette, toute seule, ne peut pas régler [le problème] », illustre M. Nadeau.

PHOTO FOURNIE PAR ALOUETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Aluminerie Alouette à Sept-Îles

La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, et la ministre responsable de la Côte-Nord, Kateri Champagne Jourdain, ont notamment reçu une copie de la lettre.

« Nous sommes sensibles à la situation vécue par la population et par nos entreprises dans les régions du Québec. On le répète, pour mieux développer notre économie, il faut assurer une meilleure connexion des régions entre elles », a fait savoir le cabinet de Mme Guilbault dans une déclaration. On assure par ailleurs que l’on fournira une réponse écrite à l’aluminerie.

Un vol sur cinq annulé

Créé en février, le nouveau Comité permanent sur le transport aérien régional, dont Air Canada est membre, doit rendre ses premières recommandations le 1er avril 2024.

« J’ai été surpris qu’on ne [veuille] pas atteindre des résultats plus rapidement que ça. C’est une région qui est prise en otage à l’heure actuelle », affirme M. Nadeau.

Le milieu économique et les maires de la Côte-Nord sont déjà mobilisés. La Presse rapportait à la fin du mois de mars que malgré le lancement en grande pompe des billets subventionnés à 500 $ par le gouvernement Legault l’an dernier, le service aérien est pire que jamais en région. Québec n’a d’ailleurs aucun « portrait juste » de la fiabilité de la desserte régionale.1

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Air Canada utilise notamment des appareils CRJ900 pour relier Sept-Îles à Montréal.

Des données compilées par la firme de données aériennes Cirium à la demande de La Presse révélaient, au 30 mars, qu’Air Canada a annulé près de 19 % de ses vols depuis le début de l’année à l’aéroport de Sept-Îles. Environ 4 vols sur 10 n’ont pas non plus décollé à l’heure prévue à Sept-Îles.

Air Canada n’a pas donné suite à notre demande, lundi. En mars, le transporteur attribuait les perturbations à la saison hivernale, « durant laquelle les conditions météorologiques sont souvent plus difficiles ».

Dans le dernier budget Girard, Québec a réservé 10 millions pour prolonger l’aide d’urgence aux transporteurs aériens régionaux.

Des effets sur la planification

Selon l’aluminerie, les vols d’Air Canada sont « régulièrement » annulés, ce qui cause toutes sortes de maux de tête à l’organisation dans sa planification de projets et ses communications avec ses cinq actionnaires, établis dans le monde entier.

« Dernièrement, on a eu deux actionnaires qui n’ont pas pu se rendre [à Sept-Îles] parce que le vol a été annulé, et le retour pour deux autres a été hyper problématique. Ça devient un irritant », souligne M. Nadeau, qui ajoute que les partenaires « commencent à être nerveux par rapport à ça ». Il y a des visites d’usine qui ne peuvent pas se faire en Zoom, illustre l’entreprise.

Je ne dirais pas que ça compromet des projets, mais ça devient plus difficile de planifier certaines activités avec nos actionnaires et partenaires.

Charles-André Nadeau, vice-président finances et administration d’Aluminerie Alouette

Par ailleurs, Alouette a sur les rails un important projet de réfection de deux de ses fours à cuisson d’anodes nécessitant des investissements de 170 millions. Quelque 300 travailleurs doivent s’activer au plus fort du chantier ce printemps. La phase de planification du projet, qui s’est intensifiée en septembre, a été perturbée par le peu de fiabilité du service aérien et des équipes sont demeurées coincées à Sept-Îles.

« Quand les sous-traitants qui travaillent pour nous vivent des situations comme ça, les soirs d’hôtel de plus, c’est nous autres qui payons la facture », explique M. Nadeau. Pour l’heure, Aluminerie Alouette n’a pas évalué les impacts financiers liés aux aléas du transport aérien.

1. Lisez l’article « Transport aérien régional : un dossier loin d’être réglé » 1. Lisez l’article « Transport aérien régional : Québec n’a “aucun portrait juste” de la fiabilité »