(Ottawa) Après le corridor Windsor-Detroit pour l’automobile, établi au fil des 60 dernières années, voilà qu’un autre corridor tout aussi structurant pour l’économie canadienne s’apprête à s’ouvrir entre le Canada et les États-Unis : celui des semi-conducteurs entre Bromont et Albany, dans l’État de New York.

Le gouvernement Trudeau devrait profiter de la visite du président américain, Joe Biden, pour confirmer que l’usine d’IBM à Bromont sera davantage mise à contribution pour tester et emballer des semi-conducteurs qui seront fabriqués en plus grand nombre aux États-Unis. Ce dossier est l’un des nombreux sujets à l’ordre du jour de la visite de 24 heures du président Biden, qui arrivera au pays ce jeudi soir.

Déterminés à réduire leur dépendance face à la Chine et à construire une chaîne d’approvisionnement fiable et sûre, le Canada et les États-Unis comptent ainsi établir une étroite collaboration dans la fabrication de ces puces informatiques, essentielles pour un grand nombre de secteurs et de produits, notamment les voitures, les téléphones intelligents, les appareils électroménagers ou encore les équipements médicaux.

Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, doit signer sous peu une lettre d’entente avec l’usine d’IBM de Bromont visant à accroître ses capacités de testage et d’emballage en prévision d’une forte production de semi-conducteurs aux États-Unis, selon des informations obtenues par La Presse.

Dans le jargon technologique, l’emballage d’un semi-conducteur est une procédure visant à empiler plusieurs puces les unes sur les autres ou à placer plusieurs de celles-ci côte à côte dans un emballage de sorte qu’elles soient reliées et puissent agir comme un seul morceau de silicium.

L’usine IBM de Bromont deviendrait ainsi un acteur incontournable dans la production de semi-conducteurs en Amérique du Nord.

À Albany, IBM possède un centre de recherche de calibre mondial dans ce domaine, et la multinationale a annoncé l’automne dernier un investissement de 20 milliards US à Poughkeepsie, dans la région de la vallée de l’Hudson, dans une nouvelle usine pour fabriquer et développer des semi-conducteurs, ainsi que pour développer l’intelligence artificielle et l’informatique quantique.

« Il est essentiel de s’insérer d’une façon stratégique dans les grandes chaînes d’approvisionnement nord-américaines. On s’apprête à mettre Bromont, le Québec et le Canada au cœur de la chaîne des semi-conducteurs en Amérique du Nord. C’est hyper stratégique pour la recherche et la fabrication dans ce secteur », a confié une source gouvernementale bien au fait du dossier.

« On n’a pas la capacité de faire tout ce que l’on veut nécessairement dans le domaine des semi-conducteurs, à la hauteur par exemple d’Intel qui a investi des milliards de dollars. Mais si on augmente la capacité dans le domaine où on peut s’insérer d’une manière stratégique, ça change tout », a dit cette source.

Une chaîne résiliente pour le continent

Dès son arrivée au pouvoir, le président Joe Biden a annoncé son intention de rapatrier aux États-Unis la production de produits jugés essentiels. Les semi-conducteurs font partie de cette liste stratégique. En août dernier, il a signé une loi, le CHIPS for America Act, qui allonge 52 milliards de dollars en subventions pour relancer la production de semi-conducteurs aux États-Unis.

Depuis lors, des géants de l’industrie ont annoncé leurs intentions de produire davantage de ces micropuces aux États-Unis. À titre d’exemple, Intel a entrepris au début de l’année la construction de deux usines de semi-conducteurs à proximité de la capitale de l’État de l’Ohio, Columbus – un investissement de 20 milliards US. La production de puces devrait démarrer à partir de 2025.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Justin Trudeau et le président États-Unis, Joe Biden, lors du Sommet des leaders nord-américains, à Mexico, le 10 janvier dernier

Au cours des derniers mois, le ministre Champagne a évoqué l’idée d’établir un corridor Albany-Bromont pour les semi-conducteurs en s’inspirant du corridor automobile entre le Canada et les États-Unis. Il a proposé l’idée au premier ministre Justin Trudeau et ce dernier en a fait une priorité. Durant le dernier sommet des Trois Amigos, qui a lieu au Mexique, au début de l’année, M. Trudeau a évoqué cette possibilité avec le président des États-Unis dans l’optique de construire une chaîne d’approvisionnement résiliente sur le continent nord-américain.

Joint par La Presse jeudi, M. Champagne a indiqué qu’il poursuivait ses démarches pour consolider la chaîne d’approvisionnement en Amérique du Nord et a précisé qu’une annonce est imminente.

« Cela fait plusieurs mois que je propose de créer un nouveau corridor du XXIsiècle dans le domaine des semi-conducteurs. J’en ai parlé avec la secrétaire du Commerce aux États-Unis [Gina Raimondo]. Le premier ministre en a parlé lors du sommet des Trois Amigos. Ça a pris une vie en soi », a exposé M. Champagne.

Il est évident que si les États-Unis veulent une chaîne d’approvisionnement résiliente, le Canada doit faire partie de l’équation.

François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

Selon la directrice générale de l’Industrie des systèmes électroniques du Québec (ISEQ), Marie-Hélène Lamarre, cette annonce attendue durant la visite du président Biden est d’une importance capitale.

« Les semi-conducteurs, c’est l’équivalent de la farine pour la pâtisserie. C’est indispensable. Les États-Unis investissent massivement dans ce secteur. Cela a été discuté durant le sommet des Trois Amigos. C’est une chance inouïe de participer à cette nouvelle économie », a dit Mme Lamarre.

« C’est très important que le Canada fasse partie de la chaîne d’approvisionnement », a ajouté Mme Lamarre, dont l’organisme à but non lucratif représente la grappe de l’industrie électronique du Québec.