Un ancien chef de bande veut faire fermer le Grand Royal Casino de Wôlinak, près de Bécancour. La maison de jeu, construite en 2021 pour 11 millions sur la réserve abénaquise, est exploitée par une entreprise d’Ofer « Josh » Baazov, le frère de David Baazov, ex-PDG du géant du jeu en ligne Amaya.

L’ex-chef Denis Landry demande à la Cour supérieure d’annuler le contrat de gestion du casino, accordé pour 20 ans à la compagnie d’Ofer Baazov (qui se fait aussi appeler Josh), Tribal Gaming Holdings Canada.

Selon lui, le contrat a été accordé sans approbation légitime du conseil de bande en mars 2020, alors que les mandats de la majorité de ses membres étaient expirés.

Sa poursuite, déposée à Montréal, vise le chef actuel Michel Bernard, le directeur général de la bande Dave Bernard – suspendu depuis novembre 2022 –, Tribal Gaming et le Procureur général du Canada.

Denis Landry dénonce aussi la nature de l’entente signée avec l’entreprise de Baazov, un contrat qualifié de « lésionnaire, exorbitant et abusif » aux dépens de la bande de Wôlinak et « en déséquilibre en faveur de Tribal Gaming ».

Ofer Baazov a ouvert le Grand Royal Casino en mars 2022.

Patron controversé

Le choix de l’homme d’affaires comme partenaire a soulevé des questions lorsque Le Journal de Montréal a révélé le projet de casino en 2021. Ofer Baazov était avec son frère David l’un des protagonistes de l’affaire Amaya. Ces enquêtes pour manipulations boursières ont mobilisé de 2014 à 2019 l’Autorité des marchés financiers (AMF), la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, la Gendarmerie royale du Canada ainsi que les autorités boursières américaines et britanniques.

PHOTO TIRÉE DE LINKEDIN

Ofer Baazov, alias Josh Baazov

L’Autorité soupçonnait Ofer Baazov d’avoir dévoilé des informations privilégiées à plusieurs investisseurs au sujet d’Amaya, l’entreprise de jeu en ligne que dirigeait son frère David. L’entreprise préparait alors l’acquisition d’un concurrent, qui s’est finalement réalisée pour 4,9 milliards de dollars en 2014.

En 2016, l’AMF a trouvé dans le téléphone d’Ofer Baazov une entente de prête-nom secrète avec David. Selon la déclaration du chien de garde des marchés financiers à l’époque, le contrat indiquait qu’Ofer Baazov et leur partenaire Craig Levett détenaient dans les faits 75 % des actions d’Amaya que disait posséder le PDG David Baazov, puis 50 % à partir de 2008.

Ces allégations n’ont toutefois pas été prouvées en cour. Aucune accusation n’a finalement été portée contre Ofer Baazov. Son frère David et deux autres personnes ont été accusés de tuyautage, de complot et de manipulation de titres, mais personne n’a été condamné. Au terme du procès, le juge a critiqué l’AMF pour des « erreurs de routine », du « laxisme » et un « manque évident de rigueur ». Depuis, Ofer Baazov a intenté une poursuite contre l'AMF.

Ofer Baazov a toutefois été nommé dans des actions collectives au Canada et aux États-Unis, intentées contre Amaya par des investisseurs, qui ont obtenu des millions en dommages et intérêts.

En 1996, la Federal Trade Commission américaine a épinglé Ofer Baazov et ses entreprises montréalaises dans le cadre d’une enquête appelée « Projet Jackpot », visant des sociétés et individus s’adonnant à du télémarketing frauduleux. En 1997, un juge fédéral les a condamnés à verser 776 977 $ US dans un fonds destiné à rembourser les victimes.

En 1993, après une enquête de la police de Montréal, Ofer Baazov a été déclaré coupable de quatre chefs d’accusation de possession de cocaïne et été condamné à 90 jours de prison, rapportait le quotidien Globe and Mail en 2015.

Casino « contraire à l’ordre public »

Dans la poursuite civile intentée vendredi, l’ex-chef Denis Landry affirme que Wôlinak était sans conseil de bande légitime quand a été signé le contrat avec l’entreprise de Baazov en mars 2020. À l’époque, la majorité des élus du conseil de bande de Wôlinak avaient terminé leur mandat depuis 15 mois.

« Le conseil de bande n’a pas tenu d’élections comme il était obligé de le faire en décembre 2018 », indique la requête de M. Landry. Selon l’ex-chef, « pendant 33 mois, il n’y avait pas de conseil de bande pouvant légitimement agir au nom de la bande ». Le contrat datant de 2020 est donc invalide, affirme sa requête.

Le conseil de bande, modifié depuis les plus récentes élections, en juin 2022, a suspendu le directeur général Dave Bernard en novembre 2022 pour une question salariale non liée au casino.

PHOTO STÉPHANE LESSARD, ARCHIVES LE NOUVELLISTE

Le chef de Wôlinak, Michel Bernard

L’avocat de Denis Landry, Paul-Yvan Martin, affirme que tous les contrats liés au casino sont « contraires à l’ordre public, puisqu’ils ont pour objet l’opération d’une maison de jeu sur la réserve, en contravention de l’article 201 du Code criminel ».

La poursuite ajoute qu’aucune réglementation n’a été adoptée « pour autoriser une telle opération et garantir les gains et l’équité dans les jeux ».

L’ex-chef Landry affirme que les Abénaquis de Wôlinak se sont endettés de 11 millions auprès de Tribal Gaming pour la construction du casino et que la distribution d’éventuels bénéfices dépend « de l’entière discrétion d’Ofer Baazov ».

« Perturbés du bocal »

Joint au téléphone, le chef Michel Bernard considère cette poursuite comme « d’une stupidité sans nom ». « Ce sont des perturbés du bocal, tonne-t-il. Jamais ils ne seront capables de faire fermer ce casino-là. » Il souligne qu’il est « millionnaire plusieurs fois ». « Moi, je suis capable de me défendre. »

Il assure que le contrat avec Tribal Gaming n’a pas été signé en 2020, mais dès 2017, par des conseillers élus en bonne et due forme.

« C’est totalement faux, rétorque MPaul-Yvan Martin. Il n’y a aucun contrat qui précède celui de 2020. »

La Presse n’a pas pu joindre Ofer Baazov.

Cette procédure s’inscrit dans un conflit de longue date entre les clans Landry et Bernard, qui se disputent le pouvoir à Wôlinak depuis des années.