Les syndicats de la construction n’arrivent pas à savoir ce qui s’est passé avec l’argent de leur caisse de retraite administré par la Commission de la construction du Québec (CCQ). Ils demandent au tribunal ce mardi d’avoir accès à des documents explicatifs. La CCQ plaide qu’elle n’a rien fait d’illégal.

Cinq associations syndicales réclament plus de transparence à la Commission de la construction du Québec. C’est après avoir fait analyser des documents par le conseiller en actuariat Pierre Marcotte que les syndicats ont pris connaissance « d’irrégularités », affirment-ils.

« On a posé des questions sans réussir à obtenir de réponses », affirme Patrick Bérubé, directeur général du Conseil provincial du Québec des métiers de la construction-International (CPQMC-I). « Si on était dans le privé et qu’on n’était pas satisfait de l’administrateur, on aurait l’occasion de le changer, poursuit-il. Mais parce qu’on est pris à la CCQ en lien avec la loi R-20, on ne peut rien faire. C’est la raison pour laquelle on s’adresse aux tribunaux. »

« On veut que l’argent que les travailleurs ont cotisé à leur régime de retraite serve à financer leur retraite, soutient de son côté Éric Boisjoly, directeur général de la FTQ-Construction. Avec l’inflation, c’est décevant que les retraités ne puissent pas avoir des retraites indexées. Est-ce que c’est parce que c’est mal géré ? C’est ce qu’on va découvrir si on réussit à avoir plus de détails. »

Au 31 décembre 2021, le régime comptait plus de 190 000 participants actifs, plus de 171 000 participants inactifs et plus de 101 000 retraités ou conjoints survivants, indique le site internet de la CCQ.

Les cinq associations syndicales de la construction, quatre associations patronales et la Commission de la construction du Québec se retrouveront ce mardi à la Cour supérieure du Québec pour discuter de la suite d’une demande déposée en 2020 par les syndicats.

Pendant 30 ans, les frais d’administration du régime d’assurance privé des travailleurs de la construction ont été payés avec l’argent de leur régime de retraite. Cette procédure a été modifiée en 2022.

La loi prévoit que la CCQ est l’administratrice des régimes d’avantages sociaux et qu’elle peut imputer aux régimes ses dépenses d’administration, explique Pierre Marcotte, conseiller en avantages sociaux chez Marcotte Information. « Quand on regarde les rapports annuels et qu’on décortique les états financiers, on voit ce qui est imputé aux différents régimes (régime de retraite et régime d’assurance), soulève-t-il, et les charges imputées au régime de retraite s’avèrent trop élevées. »

« C’est une fiducie et on n’est pas censé payer autre chose que ce qui est nécessaire pour administrer la fiducie », soutient Pierre Marcotte.

« L’argent appartient aux travailleurs, on le collecte pour les travailleurs, il est censé rentrer dans la caisse du régime de retraite des travailleurs et sortir pour une dépense du régime de retraite, point à la ligne », renchérit Claude Tardif, avocat chez Rivest Schmidt, qui défend les associations syndicales dans ce dossier.

« On veut avoir du détail »

« Comme c’est prévu dans le Code civil, on veut avoir du détail, poursuit Pierre Marcotte. On veut avoir des pièces justificatives pour vérifier que tout ce qui est payé est justifié. On a occupé tant de pieds carrés dans la bâtisse et ça coûte tant du pied carré ? On n’est pas capables d’avoir ça. On nous charge 25 % du département de comptabilité, mais est-ce qu’on a vraiment utilisé 25 % ? Ces informations-là ne sont pas divulguées. »

Contrairement à d’autres régimes de retraite, il n’y a pas de comité indépendant qui gère celui des travailleurs de la construction, explique Pierre Marcotte. C’est le C.A. de la CCQ, dont les syndicats font partie, qui s’en occupe.

Les syndicats réclament donc des informations financières et que le montant imputé sans droit au régime de retraite soit remboursé à la caisse du régime de retraite. Un manque estimé à 110 millions de dollars. Le montant du régime s’élève actuellement à 28 milliards.

Rien d’illégal, affirme la CCQ

Dans son plan d’argumentation déposé en cour, la CCQ explique qu’elle n’a rien fait d’illégal. La CCQ n’est pas tenue de rembourser quoi que ce soit, affirme-t-elle, puisqu’elle a respecté l’ensemble des lois et règles applicables. La CCQ ajoute que « cette manière de faire est celle qui prévaut depuis au moins 30 ans, sans objection aucune des demanderesses et autres parties signataires des conventions collectives ».

Au sujet de la demande d’informations financières, la CCQ est d’avis que « les questionnements formulés par les demandeurs concernant l’administration du Régime de retraite ne sont qu’un prétexte » pour obtenir « une condamnation monétaire contre la CCQ en lien avec le paiement de frais d’administration ».

La CCQ n’a pas souhaité commenter le dossier, car il est devant les tribunaux.

Vent de changement en 2018

Pendant 30 ans, les syndicats, les employeurs et la CCQ étaient au courant de la procédure, qui n’avait jamais été remise en question. En 2018, de nouveaux venus au conseil d’administration, Éric Boisjoly, directeur général de la FTQ-Construction, et Michel Trépanier, président du CPQMC-I, ont voulu changer la procédure et affirment qu’on a tenté de les museler.

En 2021, la CCQ s’est adressée à la Cour supérieure pour exclure Éric Boisjoly et Michel Trépanier du conseil d’administration de la CCQ à cause des recours judiciaires contre la CCQ au sujet du régime de retraite.

« Dans le cadre de ces recours, l’on attaque les questions du régime de retraite dans l’industrie de la construction, les façons de faire de la CCQ et sa mission même, d’où le conflit d’intérêts », indique le document déposé devant les tribunaux. La demande d’expulsion a été rejetée.